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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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jamais plus avec son nouvel amant les douces inventions de
caresses qu’il lui faisait savourer. Elle se les remémorait tandis que
Chérubin, tiré du sommeil, s’efforçait sur elle avec une vigueur dans la durée
qu’elle avait crue souveraine et qui maintenant répétitive et sans invention
faisait insidieusement naître l’ennui. En somme, Chérubin confondait l’amour
avec un assaut de cavalerie, et il avait suffi à Gersande de le trouver
ridicule en le contemplant pour conserver de lui cette unique image. En vérité,
il avait trop de génie dans son art pour en connaître aussi en érotisme.
    Ce fut à la suite de cette découverte que leur amour devint dolent et
nonchalant. L’usure, qui aura raison des mondes, s’attaque au bonheur et le
rend monotone de la même manière qu’elle a raison du malheur à force du temps qu’elle
entasse jusqu’à en éliminer la cause.
     
    Cependant,
le château tout blanc et maintenant tout souriant achevait de se construire
dans l’allégresse.
    Vint un
jour où le marquis invita à une grande fête toute la population de Mane pour
célébrer la fin des travaux. Les trois cents habitants du pays vinrent faire
médianoche sous l’arbre qui les reçut tous à son ombre. Les enfants lui
donnèrent des coups de pied en jouant, les hommes le compissèrent à qui mieux.
Il ne laissa personne indifférent. Beaucoup, assis et mangeant du jambon ou
buvant le vin du vallon, essayèrent dans le fouillis des branches maîtresses
grosses comme des cuisses de cheval d’apercevoir son faîte à travers les
ramures. En se massant les vertèbres après cet exercice, ils se disaient les
uns aux autres :
    — Trois
cent cinquante ans… trois cent cinquante ans…
    Cet âge
les intimidait. Ils avaient envie de dire « vous » à cet ancêtre.
C’était un arbre qui imposait silence. Les hommes qui le voyaient l’enviaient
un peu et se demandaient comment faire pour atteindre trois cent cinquante ans.
Leur vie tout entière s’incluait dans cette longévité et ne dessinait dans
l’aubier du chêne que quelques cercles de plus.
    Quand la
fête fut terminée, Gersande dit à Palamède :
    — Nous
coucherons ici les premiers. Les enfants resteront à Montlouis le temps qu’il
faudra pour préparer les meubles, mais moi je veux que ce soit tout de suite.
D’ailleurs j’ai quelque chose à vous dire à cette occasion et je veux que nous
soyons seuls.
    — Eh
bien soit, dit Palamède, que votre fantaisie soit faite. Mais le lit, avez-vous
pensé au lit ? Celui de Montlouis me paraît bien étroit !
    Elle lui
posa la main sur le poignet.
    — Je
vous fais confiance, dit-elle en souriant. Je vous sais plein de
ressources !
    Sur ces
entrefaites, un homme taciturne qui habitait près d’une fontaine et se disait
menuisier vint trouver le marquis un beau soir en se dissimulant de tous et en
rasant les murs (chez nous la moindre originalité nécessite le secret tant nous
craignons le ridicule). Le marquis habitait encore Montlouis avec ses enfants,
sa femme et la douairière, bisaïeule de Gersande, dont on disait qu’elle ne
voulait plus mourir car elle avait quatre-vingt-dix-huit ans et prisait comme
une damnée.
    Cet
homme-là, vieux aussi et les doigts tremblants, vint dire à Palamède :
    — Monseigneur,
j’ai ouï dire que vous aviez besoin d’un lit à Gaussan. J’en avais préparé un
pour votre pauvre père mais là-haut, au château fort, les portes étaient trop
étroites, on n’a jamais pu le faire passer. Je l’ai encore qui s’empoussière à
l’atelier. Si votre seigneurie veut bien l’accepter, je lui en ferai volontiers
le présent. À Gaussan, il paraîtra petit dans votre chambre.
    — Ma
chambre ? Comment sais-tu où sera ma chambre ? Je n’y ai pas encore
songé !
    — Monseigneur,
il n’y en a qu’une qui pourra contenir mon lit sans paraître trop petite.
    Sur un
fardier, aidé de trois hommes, le vieillard illico apporta le monument à
Gaussan. C’était un lit creusé dans le bois d’un olivier vieux sans doute d’un
millénaire ; autant pris dans la cèpe que dans l’infrastructure du tronc.
C’était un lit fait d’un rêve. Le rêve d’un vieil homme tout seul et d’une
femme qu’il aurait pu avoir et d’un enfant qui aurait pu y naître.
    Le
compagnon ne révéla jamais au marquis comment il s’était procuré un olivier de
cette envergure pour y tailler les planches polies où des volutes sombres dans
le bois

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