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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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partage : ils
s’aimaient par l’intérieur de l’âme. C’était là un pouvoir qui ne lui était pas
accessible.
    « Le
voici donc, se dit-il, ce sentiment tant attendu ! »
    Il était
abasourdi. Il avait jusqu’alors connu des amours simples, faciles à vivre, sans
histoire, qui simplement commençaient, s’exaltaient, se magnifiaient, lassaient
et s’évaporaient au fil du temps. Comme il n’avait que peu de mémoire, il n’en
gardait aucune trace dans le cœur ni dans la chair. Pour la première fois, il
en connaissait un où ce n’était pas lui qui menait le jeu. À son insu peut-être
il aspirait à éprouver une certaine souffrance et c’était sans doute ce
sentiment ignoré jusqu’à ce jour qu’il saluait en s’exclamant ainsi.
    Il errait
dans des salles entièrement vides et vouées à l’écho où le moindre pas
s’entendait sitôt qu’on y pénétrait. Cet écho fatal lui renvoya ainsi longtemps
les soupirs de Gersande et ses roucoulements aux intonations variées. Chérubin
n’en croyait pas ses oreilles. Il se demandait même s’il avait jamais ouï de
tels mercis reconnaissants de sa part quand elle était en amour avec lui.
    Alors,
parmi cette joyeuse mélopée de vie satisfaite, un autre son, ample, feutré, se
glissa insidieusement aux oreilles du jeune homme. C’était, plus qu’un son, une
houle de courant d’air (mais au-dehors, visible par les croisées, aucun
clapotis de vent n’agitait le feuillage des arbres) et pourtant un souffle
glacé parcourut son échine.
    Il
s’avançait vers le grand vestibule et s’immobilisait. Là-bas au pied des
colonnes romaines, un sextuor de femmes agglomérées s’occupait à nettoyer les
losanges des carreaux blancs et noirs.
    Chérubin
leur trouva de curieuses attitudes. Si deux d’entre elles brossaient
vigoureusement le sol, les quatre autres leur imposaient silence à grands
gestes impérieux et un doigt sur les lèvres. Machinalement les deux
travailleuses essorèrent leurs serpillières dans leurs seaux.
    — Tais-toi !
Taisez-vous ! disait le chœur des quatre autres.
    À genoux,
aux aguets, frémissantes, c’est à peine si elles prenaient conscience d’une
présence à leur côté. Elles n’étaient pas interloquées par l’irruption de ce
beau jeune homme parmi elles. Elles virent bien qu’il titubait et qu’il était
livide, mais quand on est occupé à travailler et que par surcroît un élément
incompréhensible vient de traverser vos préoccupations, ce sont là petits
détails. Elles proférèrent ces simples mots à voix basse :
    — Vous
entendez ?
    — Quoi ?
dit Chérubin. Qu’est-ce que je dois entendre ? Le bruit de vos
serpillières quand vous les essorez ?
    Car il
s’était tout de suite rassuré en les voyant. La rumeur qu’il avait perçue
provenait à n’en pas douter de leur présence et des instruments de leur
travail.
    — On
nous l’avait dit ! On le savait bien que ça arriverait !
    Elles se
chuchotaient ces mots entre elles, les bonnes femmes de Mane. Elles
certifiaient, elles attestaient. Elles avaient parfaitement assimilé la
présence de Chérubin parmi elles. Elles le prenaient à témoin.
    — Mais
qui vous a dit quoi ? dit Chérubin interloqué.
    — Qu’elles
reviendraient ! Que c’était fatal ! Qu’on ne peut pas impunément
faire un château avec un couvent détruit et tant de mortes suppliciées qui ont
été ensevelies parmi ces pierres transformées en maison de luxe ? Comment
voulez-vous. Dites que c’est pas vrai !
    Elles
parlaient toutes à la fois, les bras véhéments brandis vers l’architecte. La
rumeur de leurs voix couvrait le long tremblement du sol à peine audible mais
ininterrompu qu’elles croyaient saisir dans leur peur, leur désarroi, leur
panique de simples mortelles.
    — Tout
le monde vous le dira ! C’était fatal que ça arrive !
    Elles se
signaient. Elles regardaient toutes ensemble vers un point de l’air qu’elles
étaient seules à percevoir.
    — Mais
quoi ? dit Chérubin désorienté.
    Il en
avait presque oublié la châtelaine et ses soupirs.
    Les
pauvres femmes de Mane avec leurs mains jointes, abîmées par le lessif,
racontaient que, dans les ruelles du village, toutes les sottes communes qui
chevrotaient au seuil des maisons, prenant le frais sur des chaises dépaillées,
savaient depuis longtemps que les conventuelles autrefois exterminées par les
soudards n’avaient pas reçu sépulture. C’était

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