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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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de sa mère et aux paroles
terribles prononcées par celui-ci, Palamède devait cette hautaine attitude
au-dessus de l’humain qu’il s’efforça de garder toute sa vie.
    Il se
souvenait comme si c’était hier. Il revoyait le cercueil de sa mère, née Ismène
de Simiane, déposé à terre ; le trou creusé devant la tombe des
ancêtres ; les cordes à nœud qui l’encerclaient provisoirement comme pour
attester qu’elles seraient seules à remonter de la fosse.
    Et son
père, déjà vieux, qui s’était écroulé entre les bras de Palamède, en loques,
les larmes ayant fait de son visage l’esquisse du jugement dernier, son père
lui avait chuchoté à l’oreille :
    — Tu
vois, fils, je troquerais le salut de mon âme contre la damnation éternelle
pour avoir été avec elle autre que je ne fus. Je la réclamerais à grands cris
cette damnation. Je l’aimais et je la cloîtrais ! Je lui interdisais de
voir d’autres hommes et je savais bien moi, pourtant, que j’étais insuffisant.
Et tout à l’heure, tu vois, quand j’entendais clouer ce cercueil sur elle,
j’aurais hurlé à réclamer ma damnation pour qu’une fois au moins elle ait pu
être heureuse entre d’autres bras que les miens ! L’amour vois-tu, fils,
et crois que ma parole est profonde, c’est que le bonheur que l’on souhaite à
l’autre ne dépende pas de vous seul.
    Palamède
était jeune encore quand il avait entendu ces paroles mais elles s’étaient
incrustées en lui au fur et à mesure qu’il vieillissait. D’abord révolté par ce
sacrilège – et comment ne le serait-on pas quand c’est de votre propre
mère qu’il s’agit ? — il avait longtemps été tenu éveillé par sa
conscience. Il avait interrogé Dieu les yeux dans les yeux, tandis que la terre,
inexorable, poursuivait son chemin parmi la nuit des temps, et il avait compris
que c’était jusqu’à cette hauteur de vue qu’il devait s’élever s’il voulait
vraiment se prétendre homme.
    Une telle
mansuétude permettait aux amants de s’ébattre sans encombre. Grâce au gîte de
la forteresse où le marquis avait installé Chérubin pour la durée des travaux,
et grâce aussi à ses fréquentes absences, ils pouvaient s’aimer en toute
liesse.
    Mais le
destin des hommes leur tourne entre les doigts lors même qu’ils ont pris tant
de soin pour le construire. Si Pallio, au lieu de se jeter bêtement à l’eau,
avait eu la patience d’étudier longuement le couple de Chérubin et de Gersande,
il eût assisté au plus étrange spectacle, quoique fréquent, qu’offre la nature
humaine à qui veut bien l’observer.
    Il faut
du temps pour comprendre, pour s’apercevoir que la volupté n’est pas forcément
sœur de la beauté ni même de l’amour fou. La marquise follement amoureuse de
Chérubin mit deux ans à s’aviser que celui-ci n’était pas grand abatteur de bois
et qu’il n’avait pas l’imagination très fertile.
    Un jour
qu’elle allait le retrouver en la froide citadelle de Mane où Palamède l’avait
installé, elle le surprit dormant mais dormant tout de bon, alors que
d’ordinaire tirant le verrou par surprise il la guettait derrière la porte pour
vite s’encastrer sur elle.
    Il était
sans défense, la bouche ouverte, ronflant à qui mieux mieux, son nez un peu
retroussé livré à la critique, nu et cru. Aucune intuition ne l’avertissait que
sa maîtresse était à son chevet et méditait sur lui.
    Tout son
corps abandonné disait assez qu’il préférait le sommeil à la volupté : la
marquise se bâillonna pour étouffer le rire dont elle pouffait. Le même rire
qui l’avait saisie lorsqu’elle avait découvert sur le tapis la jambe de bois de
Palamède qui s’y était égarée.
    Femmes
varient sans doute mais c’est toujours pour de bonnes raisons qu’elles n’osent
pas avouer ou qu’elles n’osent pas s’avouer. Il prit fantaisie à Gersande de
vérifier, depuis la rencontre sous l’arbre, combien de fois elle avait connu la
volupté avec Chérubin. Parvenue très vite au terme de son énumération, elle se
plaqua la main sur la bouche pour de bon en s’exclamant :
    — Mon
Dieu si peu !
    Chérubin
poussa un grognement et se tourna sur l’autre flanc. La chose manifestement ne
le concernait pas.
    Ce fut à
partir de là que Gersande se prit à rêver de Palamède. Celui-ci en dépit de sa
jambe absente traitait avant de se l’interdire sa femme comme une œuvre d’art.
Elle n’avait

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