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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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expliqué là-dedans et tout
était au mieux de la compréhension de chacun : boulanger ça parlait aux
patriotes. « Donner du pain au peuple » était bien la chose qu’ils
entendaient le mieux, bien qu’en Dauphiné personne n’eût jamais manqué de pain.
    Une
sourde rumeur d’approbation venue de toute la noce assurait le béjaune de sa
protection. On l’invita à boire. On lui fit fête. On le loua de son prochain
engagement. Toutefois la livrée marron dont il était vêtu ne plut pas au
sergent.
    — Je
ne sais de quelle façon tu t’es procuré cet habit, dit-il, mais tu n’iras pas
loin avec ça. Tu as l’air d’un valet. Attends ! Je vais te faire donner un
vrai uniforme de patriote !
    Il tira
d’un coffre quelques hardes et une paire de sabots.
    — Ce
sont, dit-il, les dépouilles d’un sans-culotte mort au combat. Elles sont
encore souillées de sang séché mais ça te servira pour franchir les corps de
garde.
    Quand le
garçon fut costumé en patriote et coiffé du bonnet phrygien, il dit au
sergent :
    — J’ai
encore une mission sacrée à remplir. J’ai une lettre d’un de ses amis chers qui
vient de mourir à remettre au docteur Gagnon. Le connaissez-vous ?
    — Le
docteur Gagnon ? Nous le connaissons tous ! C’est un ami du genre
humain. Il ne fait pas payer les pauvres. Il habite au coin du passage
Montorge. Sa maison donne sur le Jardin-de-Ville. Mais tu ne trouveras
pas ! Attends, je vais te faire escorter !
    Et c’est
ainsi que la descendante d’une famille qui avait quatre quartiers de noblesse
pénétra, à l’intérieur d’un coffre, dans la ville mère de la Révolution. Les
trois gardes en uniforme escortaient le carrosse. Juché sur son siège surélevé
et costumé en sans-culotte, Colas était un autre homme. Les pavés
retentissaient sous le trot solide des percherons. À chaque poste de garde
l’escorte montrait le laissez-passer délivré par le sergent.
    Suivant
le cours de l’Isère, l’équipage gagna la place Grenette et s’engagea bruyamment
dans le passage Montorge.
    — Voilà ! C’est ici, dit le chef de l’escorte. Mais c’est un
vieil homme et le matin commence à peine. Attendez un peu. Ne le réveillez pas
trop tôt !
     
    La maison
du docteur Gagnon était au bord du Jardin-de-Ville qui sentait la poire mûre
tant les espaliers y étaient nombreux. Le docteur, à six heures du matin, avait
fait ouvrir les fenêtres et il lisait devant celle de sa chambre.
    Il venait
d’envoyer le fidèle Lambert, son valet, jusqu’au bureau de tabac pour
renouveler ses prises. Par-dessus ses bésicles dont il n’avait nul besoin, il
reprenait la lecture de son cher Voltaire, dont il ne se rassasiait jamais. Il
venait de souligner une phrase qui lui paraissait convenir parfaitement aux
tribulations de l’espèce.
    « Comptez
que le monde est un grand naufrage et que ladevise des hommes est sauve qui peut. »
    Le
silencieux Lambert venait de tendre au docteur le cornet de tabac à priser qui
agrémentait ses réflexions. C’était un homme posé à qui la Révolution ne
faisait ni chaud ni froid.
    Le
docteur Gagnon méditait sur les événements comme il avait toute sa vie réfléchi
sur l’espèce humaine, avec un peu plus d’amertume toutefois. Depuis que sa
fille chérie était morte en couches, il ne faisait plus que lire au lieu de
dormir. Il lisait patiemment comme on attend la mort.
    — Je
ne sais ce que c’est, notre maître, dit Lambert, mais il me semble qu’il y a en
bas un carrosse à quatre chevaux qui paraît bien attendre. Sur la borne à côté
de lui, un sans-culotte somnole.
    À cet
instant une cavalcade effrénée retentit dans l’escalier, la porte s’ouvrit
repoussée sans précaution par un enfant de dix ans.
    — Grand-père !
Grand-père ! Il y a en bas une aristocrate qui dort dans son
carrosse !
    C’était
le petit-fils du docteur Gagnon. À son habitude, il venait de franchir en
courant – il ne marchait jamais – le passage Montorge. Devant le
court jardin de son grand-père, un carrosse à quatre chevaux encombrait la
chaussée. Contre la borne de la porte cochère, un sans-culotte à peine plus
vieux que lui baissait le nez. Son visage était couvert d’éphélides.
    — Qu’est-ce
que tu fais là ? demanda l’enfant.
    — J’attends
que ma maîtresse s’éveille.
    — Où
est-elle ta maîtresse ?
    Colas mit
un doigt sur ses lèvres.
    — Dans
la voiture, dit-il. Ne fais pas de

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