Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
cent mètres. Si vous
prêtez l’oreille vous entendrez un grand charroi. Ce sont les canons de l’armée
d’Italie qui va franchir le Saint-Bernard. Ils sont fourbus aussi les soldats
mais ils chantent La Marseillaise. Il serait malsain de rencontrer les
fourrageurs qui l’escortent.
    Sa voix
faiblissait comme celle d’un homme qui a sommeil. Il se reprit.
    — J’ai
dételé les chevaux et j’ai répandu devant eux le bourras de fourrage qui était
sur le toit de la voiture. Je leur ai donné à chacun un sac d’avoine que votre
oncle de Cluny (un brave homme) avait mis dans le coffre à bagages. Maintenant,
il faut qu’ils digèrent et qu’ils dorment avant de repartir.
    Il avait
débité toutes ces paroles d’une seule traite, le chapeau à la main et tête
basse pour ne jamais rencontrer le regard de Sensitive. Il y eut un grand
silence entre eux, un cheval se mit à hennir discrètement. Il devait humer le
grand air de liberté que tant de ses congénères respiraient là-bas sur la
grand-route, avec l’armée en marche.
    — Votre
oncle avait aussi mis dans le coffre de quoi faire médianoche et même du café.
À l’abri de la grange pour ne pas attirer l’attention, j’en ai moulu et passé
dans mon mouchoir propre. Si j’osais…
    — Mais
ose ! dit Sensitive. Tu crois que ça se nourrit de l’air du temps une
marquise ?
    L’odeur
divine du café qui remet tout à plat quand la panique règne était en train
d’envahir la grange jusqu’aux solives. Elle était à moitié obstruée par un tas
de chaume qui touchait le plafond.
    — Tu
crois…, commença Sensitive.
    Elle se
retourna. Sur la paille mal tassée où il s’était affalé, le corps de Colas
était cassé en deux, la tête plus bas que l’estomac, les jambes pendantes sur
le dôme du tas de paille. Il ronflait à souffle perdu. Comme il n’était plus
sur le qui-vive, Colas, ses traits s’étaient détendus et ses quinze ans sans
défense offraient l’expression ingénue de l’innocence perverse. Sensitive
avança la main pour caresser ce visage vermeil où le sommeil avait vaincu
l’inquiétude. Elle n’en eut pas l’énergie. Elle tomba elle aussi, le nez enfoui
dans cette odeur d’éteule et ronflant à l’unisson.
    Dehors,
aux gouttières des tuiles, la pluie tombait dru où chuchotaient les feuillages.
Le diapason auquel elle avait atteint disait assez qu’elle ne s’arrêterait pas
de sitôt.
    Au rythme
puissant des chevaux arrachant le foin au râtelier pour le broyer sous leurs
mâchoires, Sensitive éprouva un bien-être qui l’étonna.
    — Comment
le monde, se dit-elle, peut-il être aussi tranquille en moi ?
    La pluie
qui bénissait la terre fut toujours dans son sommeil inconfortable le leitmotiv
qui semblait l’encenser.
    Elle
ouvrit l’œil au sale jour naissant qui éclairait à quelques centimètres de son
visage le plus charmant spectacle du monde. Colas ronflait de toute la
puissance de ses poumons de quinze ans au même rythme que les chevaux qui tout
à l’heure arrachaient leur foin au râtelier et qui maintenant, tête basse,
dormaient debout.
    Mais ce
soulèvement des côtes, chez l’adolescent qui ronflait toujours, Sensitive vit
tout de suite qu’il s’accompagnait d’un autre plus exigeant quoique plus
discret. Colas bandait en toute liesse. Sa culotte serrée de livrée domestique
ne laissait rien ignorer de son émoi et donnait à cette érection un caractère
d’appel immédiat. Il était courbé en arrière, incurvé littéralement sur sa
colonne vertébrale par la paille serrée entassée sous son corps.
    Fascinée,
Sensitive guettait cette érection qui parfois était impassible et parfois se
résolvait en mouvements convulsifs. Longtemps, longtemps – en dépit de la
vie qui affluait en son bas-ventre, le garçon dormait toujours –,
Sensitive contempla ce gonflement nerveux qui appelait le grand vide de la
création à son secours. Ses doigts lui démangeaient d’y porter la main. De son
horreur des moments qu’elle venait de vivre, comme du tremblement panique qui
l’avait jusque-là secouée, le souvenir s’était prodigieusement estompé. Il ne
lui restait plus en tête qu’une seule idée, appuyer, sans éveiller Colas, son
doigt effilé sur le sexe du garçon, lui faire parcourir lentement toute sa
longueur, profiter de la sensation d’extrême paroxysme qu’elle provoquerait et
qui se répercuterait en elle. Et puis, effrayée par son envie et le

Weitere Kostenlose Bücher