Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
risquez pas de passer pour une dame de haut
parage et croyez-moi, en ce moment, il vaut mieux pas ! L’heure n’est pas
bonne pour les nobles.
    Il partait.
Il se ravisa.
    — Il
y a quand même une chose que je dois vous dire encore : quand vos deux
frères et votre père ont émigré, le château a été mis en vente comme bien
national et mon frère et moi nous l’avons acheté.
    Il baissa
la tête.
    — Il
était déjà cassé, dit-il, et pillé. Il ajouta précipitamment :
    — Oh, ce n’était pas les gens de Mane. C’était un gros parti de
gens d’en bas qui ne faisaient que passer. Ils montaient à Paris en chantant
que la République les appelait.
     
    Lettre de
Sensitive à Germaine de Staël :
    Ma
complice chérie, c’est de Gaussan que je vous écris où je suis, pour l’instant,
saine et sauve mais nue et crue. Depuis la nuit où nous nous sommes étreintes
devant Annemasse, ma vie que je vous conte n’a été qu’une succession d’imprévus
comme nous les aimons toutes deux.
    Vous
ne vous souvenez sans doute pas, il était si insignifiant, de l’apprenti
palefrenier qui se trouvait debout devant les chevaux quand j’ai ouvert cette
lettre de mon père m’enjoignant de rentrer à Gaussan pour y préserver nos
biens, notamment un trésor qu’il prétendait s’y trouver et dont il me donnait
le cartulaire prouvant qu’il était bien à nous si nous le trouvions.
    Je
vous passe les péripéties de mon voyage mais je ne veux pas manquer à la
fidélité que je vous porte sans vous avouer que ce jouvenceau est devenu mon
amant. Il fut le seul à prendre le risque de m’accompagner alors que le reste
de mes gens se dispersaient dans la nature, me laissant en plan avec mon
carrosse et mes frusques.
    Seul
le béjaune (il s’appelle Colas) est resté fermement prèsde moi. Pouvions-nous faire trois cents lieues à travers tous
les dangers sans nous connaître ? Vous savez les caprices de ma
sensualité, eh bien ma chère je n’ai pu m’en défendre. Le désespoir, le péril,
l’attrait aussi de ce jouvenceau (il ressemble au Chérubin de monsieur de
Beaumarchais) adorable et son héroïsme à mon service ; j’ai voulu le
récompenser mais c’est aussi que je sentais le monde se décomposer autour de
moi et que par conséquent, puisqu’il était en train de finir, il fallait se
hâter de profiter des choses qu’il nous avait données. La matière première du
bonheur je l’avais à portée de main. J’eusse été bien sotte de n’en point
profiter. Bien m’en a pris d’ailleurs car j’ai éprouvé avec lui des
satisfactions que bien des roués n’auraient pu m’offrir, et de ce que nous
aimons tant l’une et l’autre, il n’était jamais las.
    Vous
qui êtes attachée à un seul amour comme le lierre au tronc peut-être me
demandez-vous : L’aimiez-vous ? Et je vous répondrai : Comment
voulez-vous ? À peine avons-nous eu le temps de nous étreindre que déjà la
Révolution le happait. Nous avons eu ici monsieur de Robespierre Jeune venu
électriser les populations refroidies de la Révolution par ses horreurs. Ici,
le peuple lorsqu’on prononce devant lui le mot « Paris » traduit
« guillotine » (ils ont appelé le bourreau « monsieur de
Paris »). Mais Colas a entendu le mot « Patrie » cent fois
prononcé. L’idée lui est entrée dans la tête. Ni mes objurgations ni mon
raisonnement n’ont pu l’en déprendre. Maudit soit ce mot qui fait préférer la
mort à la vie !
    Adieu
madame, je vous donnerai des nouvelles de ma santé si je parviens à demeurer
saine et sauve.
    Sensitive
    P.-S. : Mon
château a été vendu comme bien national et je suis enceinte des œuvres de
Colas.
     
    Réponse
de Germaine de Staël à Sensitive :
    Ma
douce, je vous répondrai brièvement car je suis dans le plus profond désespoir
avec Benjamin : quatre mois seulement après notre rencontre, le maraud
vient de se découvrir un nouvel amour éternel (solae
inconstantiae constans). Bref J’arrose de mes larmes mon écritoire. Elles
brouillent l’encre dont je vous écris. Elles la dissolvent. Elles me laissent
juste assez de lucidité et pour peu de temps encore qui me permette de vous
répondre sur l’essentiel : en ce qui concerne l’enfant que vous portez,
les temps sont assez troublés afin que, chemin faisant, vous ayez été violée
par des sans-culottes non plus que sans scrupule, bien que ces gens-là fussent
fort vertueux et coupassent plus

Weitere Kostenlose Bücher