Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
temps.
    — Antoine !
Antoine ! cria Sensitive penchée sur la margelle. Paraissez un peu !
    Antoine
leva la tête.
    — Qu’y
a-t-il ? demanda-t-il alarmé.
    — Robespierre
est mort ! C’est Désiré qui vient de me l’annoncer.
    Antoine
ne répondit rien et hocha la tête avec doute. C’était un homme qui voyait loin
quoique peu disant. La chute d’un tyran ne lui laissait pas encore entrevoir la
fin de la tyrannie.
    Le soir, depuis
la terrasse de Gaussan, on put observer quelques timides feux de joie s’allumer
çà et là dont les reflets dissipaient l’ombre discrètement au loin contre les
murailles de Forcalquier. C’était le peuple souverain qui brûlait ce qu’il
avait adoré.
    L’enfant
de Sensitive naquit en mars, il prit le nom de sa mère en attendant mieux. Le
désordre des lois et des coutumes était à son comble. Après la déclaration en
mairie, Sensitive le porta avec la mère Magnan qui avait été sa nourrice sur
les fonts baptismaux clandestins de l’église de Mane où le desservant non
constitutionnel avait survécu par miracle grâce à la complicité de tous.
L’enfant, un mâle, fut inscrit sous le nom de Palamède, Victor, marquis de
Gaussan.
    Les
semailles et les moissons occupaient les Manarains bien plus que les progrès de
la liberté. Ils étaient tellement habitués à courber l’échine sous le malheur
et depuis tant de siècles que les changements survenus à la tête de la
République les laissaient dans un état d’indifférence hébétée. D’autant que la
patrie était toujours en danger et qu’on continuait à recruter hâtivement pour
la défendre. Une gazette toutes les semaines était vendue par les colporteurs.
Les gens s’interpellaient en place publique pour se donner des nouvelles.
    — Tu
as vu ? Il y a un général qui a gagné une bataille au pont d’Arcole !
    — Où
c’est ça ?
    — En
Italie ! Tu devrais t’engager ! Y paraît que là-bas le pain est pour
rien.
    — Et
pourquoi tu y vas pas toi ?
    — Et
qui gouvernera le bien si j’y vais ?
    — Il
s’appelle comment le général ?
    — Moreau !
    — Ah !
Moi on m’a dit Buonaparte. Je crois que c’est un Corse.
    Il fit à
Mane comme ailleurs des temps apocalyptiques et un choléra larvé s’en mêla. De
nouveau les familles décimées pleurèrent leurs morts. Chez les Magnan deux mâles
de dix ans furent emportés par la typhoïde. Il resta une fille blonde qui prit
vaillamment les manches de l’araire comme son père et son oncle, et deux
jumeaux mâles en bas âge, alors que la mère Magnan était de nouveau enceinte.
    Sensitive
apprit la mort de son père à Mayence juste avant qu’il manifestât le désir de
rentrer au pays. « Il me tarde de voir mon arbre », disait-il dans sa
dernière missive.
    Sensitive
en fut soulagée. Comment aurait-elle pu justifier devant lui la faute qu’elle
avait commise ?
    La
grand-mère Magnan (Philomène) mourut aussi sur ces entrefaites.
    Palamède Victor avait maintenant sept ans. On lui offrit pour la Noël
(on la célébrait en dépit de tout) une grande boîte de soldats de plomb. Ce fut
le dernier cadeau de Philomène Magnan. Les figurines et leurs drapeaux
tricolores une fois dressés sur la table du salon, avec leurs baïonnettes et
leurs canons minuscules et même avec leurs morts vaillants qui criaient la
bouche ouverte sans doute « Vive la République », firent sur l’enfant
un effet terrible. Il ne cessait de les disposer, de les disperser, de les
éparpiller en des crises de fureur meurtrière quoique sans éclat. Sensitive
écrivit à son amie Germaine :
    J’ai enfanté un guerrier, il ne cesse de crier « haro » à
sept ans. Rien d’autre ne l’intéresse que la guerre dont il entend parler par
tous les vieux soldats sur la place du village. J’ai beau tenter de le tenir à
l’écart, malgré la distance il m’échappe et il y court.
    Il y eut
un jour dans les gazettes un avis du gouvernement qui s’étala aussi en gros
caractères placardé sur les murs des mairies, une affiche dont le titre
résumait la nouvelle situation des gens :
    « Citoyens,
la Révolution est fixée aux principes qui l’ont commencée, elle est finie.
Signé Bonaparte Premier consul. »
    C’était
un dur hiver. Dans le salon, frileusement, Sensitive goûtait les plaisirs de la
chaleur devant la grande cheminée. Elle entendit le pas lourd d’Antoine Magnan.
Il marchait comme il savait, en paysan.

Weitere Kostenlose Bücher