Chronique d'un chateau hante
Sensitive aimait la nature raisonnable
de cet homme qui ne voyait que la terre pour horizon. Rien ne l’intéressait au
monde que le travail pour lequel il était fait.
Il se
trouva le chapeau à la main devant elle qui paressait auprès du feu. Il portait
sous le bras un grand rouleau de papier. Sous la première république tout ce
qui était écrit l’était en gros, avec des sceaux de cire et des signatures
amples qui tenaient toute la largeur de la feuille.
— Maîtresse,
dit Antoine, j’ai quelque chose à vous dire. Quelque chose qui nous pèse qui
nous empêche de dormir mon frère et moi.
— Mon
Dieu ! s’exclama Sensitive. Est-ce donc si grave ?
— Oui.
Vous êtes ici comme une étrangère, alors que vous êtes chez vous. Nous avons
racheté le château en assignats pour une bouchée de pain, mais qu’est-ce que
vous voulez que nous en fassions ? Nous n’en avons pas besoin. Pitaugier
nous suffit bien et nos terres aussi. Les vôtres, nous n’avons pas assez de
temps pour les travailler toutes. Alors voilà, nous avons décidé de vous les
rendre. Rien ne nous en empêche plus puisque la Révolution est finie.
Sensitive
regardait cet homme qui se tenait debout entre le feu et elle. Il avait malgré
le froid du dehors sa chemise ouverte sur l’abondante toison de ses poils. Il
brillait de santé et de bonne odeur d’herbe comme un pré où se coucher. Depuis
sa fuite à travers la France et sa rencontre avec Colas, Sensitive n’avait plus
fait l’amour. Mon Dieu ! Mon Dieu ! combien d’années d’abstinence
cela faisait-il ? Il y avait eu cet enfant difficile à élever. Il y avait
eu cet état de proscrite où la peur était la compagne de tous les jours.
L’enfant aujourd’hui était chez son maître d’armes, un vieux sergent de
Quatre-vingt-treize qui avait perdu ses deux fils aux armées de la République
et qui préparait soigneusement Palamède Victor pour les venger ou mourir comme
eux. Sensitive n’avait pu s’en défendre tant l’enfant était impérieux et
méprisant envers sa mère.
Tout ce
qu’Antoine venait de dire n’avait aucune importance. Il parlait de choses
concrètes et terre à terre, alors qu’ils étaient là, l’un devant l’autre, un
homme et une femme. Ils étaient seuls. Le vent soufflait très haut dehors sur
le grand arbre qui paraissait monter la garde devant le bonheur de Gaussan.
— Venez !
dit-elle.
Le froid
était tel qu’elle avait dressé son lit derrière la cheminée, en un réduit
secret dont nul n’avait jamais su la destination. Elle le prit par la main avec
autorité. Il avait de gros doigts courts et la ligne de vie était littéralement
biffée en travers par les rayures des épis de blé qu’il avait liés en gerbe
tout au long de sa vie. Le contact étrange de cette main fit fondre tout de
suite Sensitive en une bienheureuse moiteur.
C’était
la deuxième fois qu’elle invitait un homme à profiter de son corps opulent car
elle savait que jamais il n’oserait alors que, et ça elle le savait aussi, elle
était le seul désir de la vie de cet homme. Elle lui chuchota à l’oreille.
— N’aie
pas peur. Je ne suis pas noble. Ça n’existe pas. Je ne suis qu’une femme et
nous sommes seuls et j’ai envie de toi ! Et j’aime ton corps !
cria-t-elle.
C’était
vrai, elle aussi dès qu’elle l’avait vu elle l’avait convoité. Pas beau, court
sur pattes mais avec un étalement de muscles sans pitié, gagnés depuis
l’enfance à la sueur de son front, en efforts démesurés, patients, longtemps
soufferts, utiles seulement au travail. C’était la première fois de sa vie que
ses muscles servaient au bonheur.
Il avait
un priape court mais qui bandait durement. Elle avait l’impression de faire
l’amour avec un centaure. Elle était certaine qu’il découvrait le plaisir pour
la première fois de sa vie – mais combien de fois devait-il l’avoir rêvé,
l’avoir réfléchi, l’avoir perfectionné en solitaire ! Il la cueillit en
retenant son souffle, en retenant son sexe, lentement, en gourmet goûtant bien
au passage le bien qu’il lui faisait. Sa nuque était raide à force de tenter
d’alléger son poids, de l’équilibrer, d’être bien en son centre, à s’efforcer
de ne frôler que les bords de ses muqueuses. Il avait compris qu’elle avait
envie d’une grande durée qui fût l’aboutissement de l’abstinence où elle
s’était confinée. L’amour était devenu un jeu
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