Chronique d'un chateau hante
présence d’esprit
après avoir fait l’amour avec moi, il ne m’aime pas ! »
Elle
n’avait jamais rencontré à la Cour que des hommes évaporés.
Il tourna
les talons, toujours le chapeau à la main. Franchissant le pas de la porte, il
dit précipitamment :
— Pardonnez-moi, madame, mais j’ai encore envie de vous.
Palamède
Victor avait neuf ans. Par la fenêtre du balcon, il regardait pensivement le
chêne prodigieux qui l’intimidait. On lui avait dit que celui-ci avait plus de
cinq cents ans et il essayait de se représenter ce que c’était que cinq cents
ans. Son précepteur n’avait pas encore pu lui enseigner les jalons de
l’Histoire. Il le sentait bien trop avide d’apprendre d’abord à tuer un homme à
coups d’épée.
Mais
Palamède Victor commençait à sentir s’agiter en lui des questions qui
l’étonnaient. N’ayant ni frère ni sœur et une mère qui lisait, il vivait dans
le silence. Il y avait bien son précepteur qui tonitruait mais c’étaient des
paroles sans suite comme sans effet. En dehors des passes d’armes où il lui
arrivait maintenant de battre son initiateur, Palamède n’avait aucune
imagination. Toutefois il finit par percevoir un élément insolite qui
s’infiltrait peu à peu dans son épaisse cervelle. C’était ce bruissement
éternel qui l’accompagnait partout dans le château. Il crut d’abord à une
carence de son oreille mais cela ne le gênait pas et d’ailleurs, dès qu’il
s’éloignait de Gaussan, il ne l’entendait plus.
Il y
songeait ce jour-là, en regardant l’arbre par la fenêtre. Il faisait un jour
sale, un jour inachevé qui laissait au loin la grande allée se perdre à
l’infini. C’est de cet infini que Palamède vit se préciser et surgir un
cavalier dont l’aspect mit longtemps à se matérialiser. Jusqu’à cent mètres de
la croisée où Palamède l’observait, il n’était encore qu’une apparition.
Mais dès
qu’il surgit du flou incertain, le garçon put le voir tout entier et il eut un
éblouissement.
« Voilà
ce que je veux être ! » se dit-il.
C’était
un hussard droit comme un i et dont le cheval était blanc de neige. Il avançait
nonchalamment en laissant la guide à sa monture, le sabre court qui battait ses
culottes de nankin, son shako et le plumet qui le surmontait parlaient pour sa
valeur dont on sentait qu’il n’avait pas besoin de faire état.
On ne
savait qui avait un jour dessiné cet invraisemblable uniforme mais celui-ci
respirait l’homme en général et tout entier, dans son orgueil, sa vanité, son
incommensurable confiance en son génie et son dérisoire combat contre la mort
et le temps. Il faisait comprendre pourquoi les femmes aimaient tant les
hussards. Avec leurs plumets, leur moustache obligatoire et ces brandebourgs
qui imitaient à s’y méprendre, surtout quand ils étaient rouges, le squelette
de l’adversaire terrassé, ils étaient si irréels qu’ils désarçonnaient la peur
que tout homme fait courir à une femme. Ils rassuraient.
Cet
inconnu réussit à franchir les quatre marches qui précédaient les portes du
vestibule, lesquelles étaient fermées.
En
courant, Palamède dévala le grand escalier. Le hussard à pied était court sur
pattes. Palamède aurait préféré le voir enfoncer la porte avec son cheval mais
il transposa tout de suite l’image du cavalier démonté avec celui qui avait si
grande allure en hussard.
Celui-ci
toisa l’enfant comme si c’eût été un ennemi.
— Où
est ta mère ? demanda-t-il rudement.
— Ici !
dit Sensitive.
Seule au
milieu du grand escalier, belle et impérieuse, elle l’occupait tout entier. Les
Pons de Gaussan pouvaient être arrogants même si c’étaient des femmes.
— Je
suis votre frère ! annonça le hussard.
— Bien !
dit Sensitive.
— Ainsi
ce qu’on m’a annoncé est vrai. Vous avez un bâtard ?
— Oui !
dit Sensitive.
— Et
vous avez usurpé le château ?
— Palamède !
commanda Sensitive. Va dans ma chambre. Tu ouvres le tiroir de gauche du
secrétaire. Il y a un rouleau avec un cachet de cire. Descends-le !
Palamède
deux à deux monta l’escalier. La chambre de la marquise était restée
entrebâillée. Sur le secrétaire, un gros livre était resté ouvert sur un lutrin
avec un signet. Palamède tout en fouillant le tiroir indiqué eut le temps
d’enregistrer une phrase qu’il lut tout entière :
Ce
prince, allant, comme je l’ai dit, à
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