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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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contrescarpe. Il interrompit brusquement son travail et se précipita
vers le rempart.
    En un
réflexe de protection, comme si l’emblème de Mantoue était un bouclier, le
gonfalonier le suivit et déploya son drapeau. Alors, sous le rempart, suivant
le chemin de ronde, le Poverello vit une porte cochère grande ouverte vomir
littéralement les trente-deux moniales qui s’engouffraient tout à l’heure par
l’entrée du château. Elles avaient toutes la hart au col comme si on les menait
pendre. Cette corde de chanvre barrait leur poitrine et leurs mains y étaient
agrippées. À leur suite surgissait un chariot aux roues basses, solides, qu’on
devinait avoir été particulièrement bien forgées. Ce char était occupé par une
masse informe que gouvernaient les sœurs arrimées aux cordages ; néanmoins
elle était anonyme, enveloppée d’une bâche bleue étroitement ligotée. La
manière dont cette forme avait été ensevelie interdisait d’en connaître la
nature.
    En tête
du cortège, les pieds presque touchant le sol, cheminait sur son âne la prieure
austère, le front barré de rides et qui portait sur toute sa personne cet air
de méfiance que provoque chez ses victimes le destin quand il s’en prend aux
créatures.
    Jamais le
Poverello n’aurait rêvé pareille moisson. À la vue de ces théores qui
chantaient l’Ave Maria pour se donner du cœur, les chevaux de Mantoue tentèrent
de se cabrer sous la main de leurs cavaliers qui les maintenaient au mors d’une
poigne de fer. Ayant dompté le sien, le Poverello ne dessinait plus qu’au
fusain. Il avait abdiqué toute rigueur. Il ne faisait que donner libre cours à
son génie et se fier entièrement à celui-ci.
    La
théorie des sœurs descendait par le chemin de ronde que limitait le portail de
Guilhempierre tout encombré de blocs de safre et qu’on achevait de construire.
Une esplanade nue conduisait au clocher que naguère, en période d’opulence, les
consuls avaient voulu ériger pour la gloire de Manosque. Ce clocher, par le
malheur des temps, n’avait encore jamais sonné l’heure.
    Il
commandait au soubran de la ville, c’était le nord, une ancienne voie romaine
qui tenait plus d’un lit de ruisseau que d’une route royale. Depuis mille ans,
les gens de Manosque, s’ils avaient besoin de construire, venaient ici déterrer
les pavés et faire provision de pierres bien taillées.
    C’était
par cette voie que les moniales étaient arrivées et par là qu’elles s’en
retournaient.
    Entre deux murs de safre le chemin escaladait la colline et il n’était
pas trop de l’antienne chantée à pleine voix pour aider les sœurs dans cette
draille mal caladée :
    Stella matutina
    Virgina martyrum
    Beatrix consolatum
     
    Elles
chantaient à l’unisson, leur prière comblait la nuit de sa certitude. Le soir,
à la croupe de l’ânesse, les converses avaient saisi chacune un flambeau dont
la prieure avait prévu un fagot en cas de besoin.
    Sortant
de la Croupatassière, une masure presque sans terres, pour pisser au clair de
la lune, un laboureur entendit soudain ce lamento que psalmodiaient des voix
d’une extrême jeunesse, d’une extrême innocence. Il vit la procession des
flambeaux gravir le chemin. Il vit le chariot grinçant qui avançait roue après
roue et son mystérieux chargement.
    C’était
un homme du pays qui ne mangeait que les fruits de sa terre et ne buvait que
l’eau de sa source. Il était prudent de nature et savait qu’en ces temps
troublés il était malsain d’avoir été témoin de quoi que ce fût. Il se remisa
précipitamment mais ensuite, par un trou du volet creusé par les piverts, il
regarda de tous ses yeux. Il vit la prieure sur son âne, il vit les trente
sœurs attelées au char et son étrange chargement, mais il vit plus étrange
encore : au moment où il pensait aller se coucher pour rêver sur sa
vision, il entendit le trot de deux chevaux lourds et qui imprimaient avec
vigueur leurs sabots dans la draille.
    La lune
était maintenant presque à l’horizon. Elle allait bientôt disparaître derrière
les montagnes. Elle ne laissait de visible que l’ombre chinoise de deux
cavaliers, l’un casqué, l’autre enveloppé d’une robe de velours et d’un
chaperon de même nature. L’homme au casque serrait contre son épaule la hampe
d’un drapeau carré et, sur cette bannière que le vent agitait mollement, le
paysan distingua une figure monstrueuse, cernée de rayons dorés comme

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