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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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un soleil
et qui lui tirait la langue méchamment. C’était la tête de la Gorgone que cette
année-là Gonzague avait choisie pour faire la nique à son cousin, le potentat
de Vérone, lequel ne cessait jamais de le provoquer en combat singulier.
    Le paysan
de Manosque ne pouvait rien comprendre à ce défilé énigmatique qui se déroulait
sous ses yeux mais, derrière ce trou creusé par les piverts, il demeurait
pantois, subjugué. Blafard sous la poussière, le chemin charretier blanchoyait
encore quand soudain, et la lune qui les repoussait devant sa clarté faisait
leur ombre encore plus gigantesque, quatre soldats de l’ordre armés comme pour
la parade traversèrent le champ de vision du manant. Ils avaient le heaume
baissé et la lance au poing, leur bouclier était rehaussé par la croix pattée
des Hospitaliers. Cette fois l’homme souffla la chandelle et se tint coi.
L’apparition des soldats de l’ordre sonnait l’alarme dans son cœur simple.
    Cet
homme-là avait vingt-deux ans et il mourut très vieux. Il dépassa les
quatre-vingts ans, À ses enfants, à ses petits-enfants, aux enfants de ces
derniers, il ne cessa jamais de raconter sa vision à qui voulait l’entendre. Il
lassait. On ne comprenait rien à ce qu’il disait. Son récit se délaya parmi ses
descendants. À la fin de sa vie, déjà, personne ne croyait plus à son histoire
ni n’était capable de s’en souvenir. Il mourut avec le même air effaré qui ne
l’avait pas quitté cette nuit-là.
    Cependant,
les théores avaient atteint le col de la Mort-d’Imbert. C’était un étroit
passage entre deux collines pelées par les caprins qui prolongeaient le Luberon
vers le nord. Ce col avait toujours été sinistre. L’au-delà qu’il commandait
marquait la fin du territoire des Hospitaliers. Après, c’était le fief des
comtes de Forcalquier mais, cette nuit-là, aucun territoire n’appartenait plus
à personne.
    La nuit,
à partir du sommet de Lure, n’avait jamais été aussi belle, aussi limpide,
aussi innocente. La comète qui paraissait désigner la terre depuis son
immobilité mystérieuse au milieu du chariot de la Grande Ourse conférait au
ciel une éternité qui aurait dû intégrer les hommes, et cependant tel un nuage
de grêle qui sévit plus fort d’un versant à l’autre de la montagne, l’épidémie
redoubla d’intensité, sitôt franchi le col de la Mort-d’Imbert.
    Ce fut le
cœur du brasier de la peste, ce fut son feu d’artifice, son bouquet. Cette
nuit-là entre Sisteron et Céreste, de Manosque au Revest-d’Albion, il mourut
sans bruit six mille personnes.
    D’ordinaire,
de telles hécatombes s’accompagnent du fracas des batailles et des
protestations véhémentes des mourants. Ici, ce fut sous le silence, la peur qui
bâillonnait les cris, la stupeur de ceux qui se disaient : « Alors
moi aussi ! Moi qui chantais des sirventes aux fillettes, moi qui étais
beau comme un dieu, moi à qui l’avenir promettait tout ! » De telles
paroles ne se prononcent qu’en soi-même.
    Sitôt le
col franchi cependant, les nonnes éprouvèrent le besoin de souffler. Sans
consulter leur prieure, d’un commun accord et en riant, elles plantèrent leurs
flambeaux dans la terre, lâchèrent leur harnais pour s’isoler dans la nature.
Un bruit de joyeuse fontaine coulait à leurs pieds écartés autour de leurs
lourdes futaines pudiquement soulevées pour ne pas les salir d’éclaboussures.
Les moniales riaient aux éclats pendant cet acte de liberté.
    Le
chariot et son chargement restèrent seuls sans surveillance tandis que l’âne de
la prieure s’en allait allègrement sur la pente qui conduisait à Dauphin.
    Alors le
Poverello et son compagnon s’approchèrent du convoi. Le peintre descendit de sa
monture. Vivement il tira à lui une des planchettes de la soubretache pour
dessiner de près à la lueur mouvante des torches le mystère qui était à portée
de sa main.
    Il
fallait faire vite. Il n’était pas question de s’attaquer aux liens qui
entouraient la bâche bleue. Néanmoins celle-ci au balan du chemin s’était
légèrement déplacée et quelque chose brillait à la clarté des flambeaux que les
sœurs avaient fichés en terre pour être plus libres de leurs gestes.
    Poverello
se pencha vers cette aubaine. C’était la révélation d’une patte d’animal, pas
plus large qu’un travers de main mais qui luisait avec des reflets d’or. Des
fontes de son cheval de trait, le

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