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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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Forcalquiérains bien nés s’étaient arrêtés
une fois pour pisser.
    Avant
même qu’il parle, je le vis faire de sa main ouverte le signe de la balance, ce
signe de doute suprême : les doigts épanouis qui tournent autour du
poignet pour exprimer que l’événement peut évoluer dans un sens ou dans l’autre
mais plutôt du mauvais côté que du bon.
    —  Vous savez, me dit-il, je n’ai pas le moindre doute mais je vous ai
fait un mot pour le docteur Joubert de Digne et je vous conseille de le
consulter.
    Là, il
m’agrippa par le bras et me tournant vers lui et me regardant droit dans les
yeux, il me dit :
    — Le
plus rapidement possible ! Vous savez, c’est une maladie qui n’attend pas.
Il faudra probablement l’opérer et le plus tôt sera le mieux. Commencez à la
préparer !
    Il me
tendit la lettre qu’il avait mise sous enveloppe cachetée.
    À
l’instant où j’eus cette lettre en main, je compris que j’étais tombé dans la
misère humaine sans merci. J’allais devoir annoncer à Aigremoine que
probablement il allait falloir l’opérer. Le « probablement »
n’atténuerai pas l’annonce. Elle savait comme tout le monde que cet adverbe
était toujours négatif et n’était en aucun cas porteur d’espoir.
    À cette
époque, toute intervention qui ne se résolvait pas par la mort immédiate du
patient était considérée comme un miracle. En général, on échappait vivant au
billard mais le terrible « choc opératoire » tuait dans les quatre
jours la majorité des survivants.
    Je mis à
annoncer la chose à ma femme tout l’amour, toutes les circonlocutions
nécessaires, mais le mot « opération », il fallait bien le prononcer.
C’était au repas de midi que nous prenions seuls dans la grande cuisine car
manger à deux dans une salle de soixante-quatre mètres carrés n’avait aucun
sens et il y avait longtemps que nous y avions renoncé.
    — J’ai
rencontré, lui dis-je au dessert, le docteur Pardigon que je vois tous les
matins et comme il me sentait inquiet pour votre santé il m’a dit :
« Si vous voulez être rassuré complètement, allez donc trouver de ma part
le docteur Joubert à Digne. Et puisque vous ne me croyez pas quand je vous dis
qu’elle n’a rien, lui vous le confirmera ! C’est un grand
praticien ! »
    Aigremoine
me laissa parler sans rien dire mais son intuition dut dès cet instant
l’alerter car elle ne mangea que le tiers du saint-honoré dont d’ordinaire,
gourmande comme toutes les sensuelles, elle ne laissait pas une miette.
    Elle
laissa planer un grand silence jusqu’au café que nous apportait Julie.
    Julie et
Aigremoine étaient comme deux sœurs jumelles par l’intuition et l’intelligence,
et dès qu’elles furent confrontées à ce silence l’une et l’autre, troublé par
le seul bruit léger que faisaient les cuillers remuant le sucre dans les
tasses, elles comprirent toutes les deux qu’une heure solennelle venait de
sonner.
    —  Mais, dit à la fin Aigremoine, le docteur Joubert, c’est un
chirurgien ?
    Je
répondis précipitamment :
    —  De la Faculté de médecine de Paris, ancien chef de clinique à la
Salpêtrière ! Il a sauvé des centaines de malades !
    En vérité
le docteur Joubert était le seul chirurgien pour tout le département des
Basses-Alpes. Sa clientèle était décourageante : quatre-vingt-dix pour
cent des patients qu’on lui amenait, quel que soit le mal, il était trop tard
pour les traiter. C’était le mouroir de province le mieux achalandé car on
n’extirpe pas de sa cahute un paysan des Basses-Alpes qui n’envisage jamais la
mort au bout de ses souffrances et vous dit avec un sourire résigné :
    —  Ça passera, puis, à la fin .
    En général, ça passait à la mort.
     
    Je ne
sais quel auteur a écrit : « C’est le troisième jour qu’il faut voir
l’homme qui a été frappé. » Pour Aigremoine, ce fut la troisième nuit. Je
dormais. Je fus éveillé malaisément par un contact bizarre, inhabituel. Julie
ronflait à l’autre bout du lit, bien séparée de notre couple. Il devait y avoir
un moment qu’Aigremoine essayait de m’éveiller, ayant scrupule à le faire. Ses
tentatives avaient été trop timides sans doute et j’avais refusé inconsciemment
de leur obéir, ou plutôt je leur obéissais par étapes, mon conscient revenait
très lentement à la surface de la vie. Je rêvais d’un mendiant qui réclamait
l’aumône et à qui je la

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