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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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refusais.
    C’était
la main d’Aigremoine, c’était le contact d’Aigremoine, modeste, à peine
suppliant, plein d’excuse et de honte ; c’était sa main qui tâtonnait
cherchant la mienne mais sans insister, prête à abandonner : « Non,
ça n’a pas d’importance ce que j’ai à dire. »
    C’est
alors qu’elle eut brusquement conscience que j’avais ouvert les yeux. Sa main
se fit plus hardie, plus insistante, enveloppant mes doigts, se cramponnant à
eux, me faisant entendre un langage pathétique que je me devais d’appréhender
par tout ce que mon être possédait de compréhensive pitié plus que par mon entendement,
et quand elle fut bien certaine que je pouvais la comprendre, elle me
dit :
    — J’ai
peur.
    Je
compris alors qu’elle venait de parcourir par la pensée un long chemin qui
s’achevait sur le vide. Elle était tapie dans sa peur comme un animal qui n’a
jamais imaginé l’éternité et qui se trouve, sans Dieu, livré à la consumation.
Ces deux mots exprimaient tout. Il était inutile de me préciser de quoi elle
avait peur et elle était certaine que je ne le demandais pas. Elle avait
raison. J’étais sans voix. Je ne souhaite à personne d’entendre l’être qu’on
aime vous murmurer « j’ai peur » comme un aveu.
    Elle
alluma la lampe à pétrole avec soin et précision sans trembler.
Qu’attendait-elle de ce jour glauque pour la rassurer ? Elle avait son
visage défiguré à cinq centimètres du mien et son regard désorienté me sondait
jusqu’au fond du cœur. J’admirais ses seins royaux où rien ne présageait qu’ils
contenaient la mort. Ils me surplombaient. Un appétit d’elle montait à travers
mon réveil et me dictait ce qui était le plus urgent : disperser par la
volupté son appréhension. Je savais par expérience que seul le plaisir peut
exterminer toute autre sensation mais je savais aussi son peu de durée et
qu’aussitôt qu’il serait assouvi l’obsession reviendrait comme remonte la marée.
    Il
fallait trouver un subterfuge plus radical pour l’avenir immédiat. Je
remarquai, et Julie en fut aussi avertie qu’Aigremoine était en train de
changer d’obsession.
    Je
m’avisai soudain que son épouvante devant l’inceste et tous les détails très précis
qu’elle en avait conservés, tout cela s’était évanoui en un clin d’œil. La
certitude de devoir mourir bientôt l’avait remplacé, effacé, en avait fait un
souvenir dérisoire.
    Elle
était tapie dans sa peur comme l’animal sans Dieu. Cette idée m’habita aussitôt
devant son regard de traquée, devant son détachement soudain de tous les
plaisirs de la vie, la contemplation, l’amour des animaux, la curiosité pour
son prochain, et cette indifférence soudaine pour les enfants : son plus
grand regret jusque-là étant de ne pas en avoir.
    Je savais
qu’Aigremoine ne participait d’aucune religion. Un jour, je l’avais vue
décrocher du chevet de son lit, sous prétexte que c’était un nid à poussière,
le crucifix fiché d’un brin de laurier qui y avait été fixé par une femme
pieuse de sa famille très longtemps auparavant. J’avais rencontré dans ma vie
tant d’athées intransigeants qui, au moment suprême, réclamaient un prêtre à
cor et à cri que je pouvais presque à coup sûr augurer chez ma femme le même
réflexe, mais connaissant sa force de caractère je n’en étais pas si certain.
    Je
calculai que mon athéisme personnel ne pouvait qu’entretenir le sien
puisqu’elle m’aimait. Je me mis à espérer croire de toutes mes forces.
    Un matin,
je me décidai à sauter le pas. C’était un jour sombre de septembre où la pluie
des feuilles commençait de tomber. J’avais la veille garé ma De Dion Bouton le
plus loin possible de la maison, dans l’allée pour ne pas réveiller Aigremoine.
Il était six heures et demie du matin, je voulais passer inaperçu de tous.
Hilarion était matinal. Ce jour-là, je le vis de loin qui allait gouverner mes
hongres. J’arrivai à la voiture et me mis en devoir de tourner la manivelle
pour élancer la machine, ce qui demandait toujours un peu de temps surtout
quand l’atmosphère était à l’humide. Quand je me relevai de ce labeur
éreintant, dans la pétarade du moteur qui triomphait du silence, je vis Julie
devant moi, comme chaque matin strictement vêtue de blanc et de noir.
    — Je
vais avec vous ! cria-t-elle pour couvrir le bruit du moteur.
    Je fis
signe que non avec la tête,

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