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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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assez léger pour déplorer chez elle qu’elle fût la
descendante d’un bâtard ? Je n’étais pas là pour me faire valoir mais pour
l’aider.
    Julie
s’aperçut tout de suite de notre chagrin sans qu’il lui fût nécessaire de nous
l’entendre exprimer. Une si étrange trinité s’était forgée entre nous que nos
états d’âme passaient de l’un aux autres sans le truchement d’aucune parole.
Elle nous souhaita le bonsoir et regagna sa chambre sans commentaire. Elle
avait compris qu’à partir d’un certain seuil notre couple devait se retrouver
seul.
    Je dus
bercer Aigremoine contre moi comme un enfant jusqu’à tard dans la nuit pour la
rassurer de bonnes paroles murmurées et de lentes caresses de mes mains dans
ses cheveux. L’érotisme était bien loin de nous. Quand elle s’endormit enfin,
moi je continuai à veiller.
    Je n’ai
jamais pu supporter personne contre moi pour dormir. Je me suis toujours
éloigné de toutes les femmes de ma vie jusqu’à l’extrême bord du lit pour
profiter seul égoïstement du sommeil. Cette nuit-là, je restai contre
Aigremoine immobile, retenant ma respiration, attentif à me tenir éveillé, et
pourtant je finis par perdre conscience, le nez dans ses cheveux, la main
machinale refermée sur son pubis sans aucune intention.
    Si je me
souviens si parfaitement de cette bagatelle qui nous éloigna l’un de l’autre
pendant quelques heures, ma femme et moi, c’est parce que ce fut le lendemain
matin, alors que tout était oublié et que nous étions joyeux l’un de l’autre,
qu’un élément encore insignifiant vint annoncer la mort.
    Je
n’oublierai jamais ce matin de semblant d’hiver où j’étais en train de me raser
dans mon cabinet de toilette. C’était une nouveauté alors que la propreté des
corps et j’avais fait ménager dans notre immense chambre deux réduits attenants
et sans cloison qui contenaient une baignoire en zinc, une douche et deux
lavabos à eau courante. Par un luxe encore rare, un calorifère permettait de
chauffer l’eau et la pièce était bien close de l’extérieur.
    Endurant
ma physionomie au miroir, ce qui ne m’a jamais paru une perspective enivrante,
quelque indulgence que je m’accorde, j’étais attentif à ne pas me couper avec
mon rasoir-sabre.
    Aigremoine
sortait de son bain et se contemplait dans l’autre miroir. Je la vis soudain,
par le jeu des glaces vis-à-vis, froncer les sourcils et prendre un air de
doute.
    Elle se
précipita vers moi et me dit :
    — Touche !
    En me
tendant ses seins.
    J’écartai
précipitamment mon rasoir-sabre de nous deux car elle s’était jetée en avant
imprudemment, sans réfléchir. Elle éclata de rire en voyant la moitié de mon
visage encore broussailleux et l’autre enduit de savon à barbe.
    — Qu’est-ce
que tu veux que je touche ?
    — Mon
sein ! Pas celui-là, l’autre ! Palpe-le !
    Je crus
qu’elle me réclamait un surcroît d’attention. J’étais toujours prêt à la
satisfaire en cette matière et ce fut donc une caresse d’invite que je lui
prodiguai. Mais alors elle saisit ma main avec impatience. Non ! Ce
n’était pas un effleurement sensuel qu’elle exigeait. Elle promenait mes doigts
impatiemment sur ce qu’elle voulait me faire connaître avec précision et que ma
maladresse ne parvenait pas à détecter.
    Le manège
dura plus d’une minute parce que j’avais déjà rencontré sous mes phalanges la
minuscule lentille qui l’intriguait, mais aussi parce que mon esprit, à mon
insu, avait déjà saisi, avant toute perception de ma raison, ce dont il
s’agissait et que mon visage (comique sous le savon à barbe) en avait déjà
blêmi tandis que se préparait en mon épaisse cervelle ce que je voulais
répondre à Aigremoine qui soit banal, indifférent, rassurant. Cette gymnastique
de l’esprit, que je ne souhaitais à personne d’avoir un jour à pratiquer,
m’incitait à rendre mes doigts malhabiles, grossiers, gourds, sans délicatesse
et sans intuition, comme si c’était la première fois de ma vie que je palpais
le sein d’une femme.
    Je parvins
à tourner le dos et à me remettre à raser paisiblement mon autre joue, tout en
vérifiant que dans mon œil aucune trace d’inquiétude ne pouvait se deviner. Je
dis :
    — Et
c’est pour ça que tu as failli me faire trancher la gorge ?
    Je
haussai les épaules et poursuivis :
    — Tu
dois avoir eu ça toute ta vie et tu ne t’en étais pas avisée. Mais si

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