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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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pieds chez
moi, à partir de cette foi ostentatoire que je proclamai désormais montrèrent
le nez au seuil de ma boutique et en tournèrent le bec-de-cane. (Ai-je dit
qu’en dépit du château, je n’abandonnai jamais ma boutique de la place
Saint-Michel où s’encastrait mon alambic ?)
    Je
pouvais faire les gestes de la foi avec aisance, sans contrainte et le plus
naturellement du monde. Je n’omettais jamais de plonger mes doigts au bénitier
dès l’entrée ni d’aller faire une génuflexion devant le grand crucifix. Je me
glissais alors modestement derrière un pilier sur le prie-Dieu le plus
inconfortable de Saint-Mary.
    Je ne
craignais rien : j’étais baptisé et j’avais fait ma communion solennelle.
    Au
surplus, j’ai été athée toute ma vie et toute ma vie j’ai regretté de l’être
tant la certitude du croyant est confortable. J’ai envié ceux qui avaient la
conviction de Dieu. Et aujourd’hui exécutant sans en oublier aucun les gestes
du prosélyte pour essayer par mon exemple de communiquer à ma compagne la foi
que je n’éprouve pas, est-ce que je n’espère pas ? Est-ce que je n’espère
pas que la certitude de Dieu poussera sur mon terrain stérile ? Ma mère,
qui était la raison même, avait dit à mon père, sur l’oreiller :
    — Je
sais bien que tu ne crois pas, moi non plus, mais pour que le petit soit à
l’honneur du monde, il vaut mieux le faire baptiser et qu’il fasse la
communion. La foi est du côté du manche et il vaut mieux être du bon côté du
bâton. En plus, ta clientèle est faite pour trois quarts de croyants et
d’ailleurs, s’ils ne croyaient pas au surnaturel, ils n’achèteraient pas tes
orviétans.
    Avec de
tels arguments, j’étais prêt à participer de l’hypocrisie générale qui était le
sort commun aux trois quarts des Forcalquiérains. J’étais armé.
    Le
docteur Pardigon en cette circonstance fut parfait. Il ne me saluait plus
ironiquement tous les matins, il venait même vers moi et me serrait la main et
il me disait :
    — Vous
êtes allé voir le docteur Joubert ? Vous savez, le mal court. Il n’est
plus temps de mettre la tête sous l’aile.
    C’est
pourtant ce que je faisais. Mais un matin dans une position qui me permettait
de prendre dans mes mains les seins d’Aigremoine et de les palper à loisir, je
pus constater que, dans sa mamelle gauche, ce qui était gros comme une lentille
s’était développé. Il n’était plus temps de tergiverser. Maintenant, la tumeur
bien à l’abri dans sa tunique de chair saine atteignait la taille d’un pois
chiche avorté.
    Les
choses allaient très vite aussi du côté de la mécanique. Je venais d’offrir à
Aigremoine, car ma De Dion-Bouton était à bout de souffle, un phaéton Berliet
de la hauteur d’un carrosse et dont les sièges épanouis faisaient cossus comme
un salon où l’on cause. J’avais enseigné à Aigremoine, rien n’était assez
étrangement nouveau pour l’arracher à son obsession, les rudiments de la
conduite de cet engin.
    Nous nous
élançâmes vers Digne comme des novis en voyage de noces. J’avais au préalable
écrit au docteur Joubert en lui joignant la lettre de Pardigon. Il m’avait
donné rendez-vous pour ce jour. Ce fut en route, dans le fracas du moteur et de
la corne d’alerte pour un poulet traversant le chemin, qu’Aigremoine me parla
de Dieu. Elle était invisible sous la peau de bique et les énormes lunettes
noires qui la protégeaient des jets de pierre. J’étais moi-même comme elle
transformé en animal informe par la fourrure censée nous protéger du froid.
    Elle
tourna vers moi ses lunettes énigmatiques et je vis un rictus se former au coin
de la lèvre du côté de son visage demeuré intact et elle me dit :
    — Alors ?
Vous voici converti ? Mécréant comme vous avez toujours été, ça vous va
bien ! Vous savez le dicton qui court parmi les paysans ? Qu’ouro
lou diablé n’a proun fa se faï ermito !
    Ainsi,
elle avait fini par savoir. Je pensais que Julie, à mots couverts, puisqu’elle
connaissait le but de ma démarche, l’avait mise au courant avec réticence. Je
répondis lentement.
    — Ne
vous moquez pas, c’est le fruit d’une réflexion de trente ans. Vous savez comme
j’ai l’esprit de l’escalier. Voici trente ans que je médite sur le pari de
Pascal.
    Elle
hocha la tête longuement.
    — Oui,
je sais ce que c’est que le pari de Pascal.
    — Eh
bien vous savez, je suis

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