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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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le
suivre.
    C’était
la première fois de ma vie que je visitais l’antre d’un docteur en médecine.
    J’ai dit
l’inimitié ancestrale qui nous unissait Pardigon et moi ; ses sarcasmes et
ses doutes à haute voix sur mes capacités à soulager mes semblables.
    Là, il ne
dit pas un mot. Aucun sourire d’ironie ne me fut adressé et pourtant, tandis
qu’il interrogeait Aigremoine, sur son âge, ses antécédents médicaux et sur la
raison de sa présence, son regard ne cessa pas de solliciter le mien.
    Il prit
quelques notes sur un calepin et se leva.
    — Bien,
dit-il, déshabillez-vous. Pas entièrement ! le haut suffira.
    Son
cabinet était séparé en deux. Une cloison à mi-hauteur donnait accès à une
table d’observation et à un lavabo dans un réduit pour l’instant visible
derrière un rideau ouvert. Il disparut avec ma femme dans ce laboratoire et
tira le rideau sur eux.
    Je me
retrouvai seul, mon âme m’était descendue dans les pieds. Je n’existais plus.
J’étais dans Aigremoine, ma compassion tout entière concentrée sur ce qu’elle
devait ressentir à cet instant.
    Néanmoins,
l’angoisse chez un homme de ma trempe n’exclut jamais le sens de l’observation.
Je constatai tout de suite que sur la cheminée du bureau, à côté du
cache-maille (un souvenir d’enfance probablement) qui représentait l’effigie
d’un Napoléon aux joues vermeilles, trônait un flacon bleu marine du Baume
Félicien, avec mon portrait en ovale, et en le secouant je le trouvai à demi
plein.
    J’eus
juste le temps de reposer le flacon. Pardigon reparaissait suivi d’Aigremoine
qui se rajustait.
    —  Votre femme n’a rien ! me dit Pardigon, son regard insistant ne
quittant pas le mien. Vous pouvez la ramener à Gaussan et soyez rassuré.
    Je ne
l’étais pas du tout mais Aigremoine l’était. Ce qui était bien l’essentiel.
    —  Mais c’est curieux, me dit-elle, il ne m’a prescrit aucun médicament.
    —  Il faut les préparer, dis-je, je passerai demain les prendre.
    La nuit
s’écoula pour elle à dormir paisiblement et pour moi à guetter le temps qui
passait. De fois à autre, je me retournai le plus doucement possible pour ne
pas l’éveiller. Julie ronflait de l’autre côté du lit. Aigremoine dormait sans
bruit. La chambre était entièrement obscure mais je me penchai sur cette
obscurité. Tout était à la même place, nos corps, le lit qui embaumait toujours
le bois d’olivier. La pendule grommelante et grave, dont les coups s’égrenaient
avec solennité dans la courbe du grand escalier, soulignait le temps une fois
tous les quarts d’heure, nous l’assenant lentement à chaque tour d’aiguille sur
le cadran. Je savourais tous ces éléments d’un bonheur qui venait d’être
soufflé comme la flamme d’une bougie.
    N’ayant
pas fermé l’œil, je me levai d’entre les deux femmes sans les éveiller et
sortis de la chambre. Je n’avais même pas envie de me faire du café. Tous mes
besoins et mon confort habituels, cette routine du plaisir d’être, du plaisir
d’exister qui jusque-là m’avait toujours rassuré, ne m’était plus d’aucun
secours. La cafetière, joliment décorée de fleurs des champs, le moulin antique
en bois que je calais avec plaisir entre mes cuisses à chaque réveil et le beau
bruit d’écrasement des grains qui me faisait sourire et, ouvrant le tiroir,
l’odeur sublime du café moulu que j’allais passer dans la débéloire ;
jamais une seule fois depuis trente ans que j’étais seul (avant c’était ma mère
qui se chargeait de ce bonheur et elle n’y aurait pas renoncé pour un empire)
je ne m’étais dispensé de humer ce parfum des matins, tous heureux, où le café
allait s’humecter cuillerée après cuillerée avec l’eau non bouillie dont je
l’arrosais.
    Mon
angoisse pour Aigremoine grignotait pas à pas toutes ces petites joies
auxquelles l’on mesure la pauvreté de l’homme.
    Quand je
garai, ce matin-là, mon quadricycle à pétrole devant Chasteuil, le marchand de
journaux, Pardigon en sortait, son quotidien sous le bras. Il me fit signe avec
son index de le suivre. Contrairement à l’habitude, il ne souleva pas son
chapeau en m’appelant comte. Son visage n’était pas méprisant. Il savait qu’il
avait de quoi m’abattre mais il répugnait à le faire.
    Pour être
sûr que nous fussions seuls, il m’entraîna au-delà du coin de l’église dans la
célèbre Clastre-Vieil où tous les

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