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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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dans mon ignorance pour ne pas douter du
verdict. Quand la porte s’ouvrit sur Aigremoine, elle était toute souriante.
    — Ce
n’est qu’un kyste ! me dit-elle. Soyez rassuré. On va me l’enlever et ce
sera tout.
    À son
ombre suivait Joubert tête basse et refermant la porte. Sa seule attitude
prouvait la fausseté des paroles d’Aigremoine. J’ai l’habitude des vaincus et
Joubert en était l’image.
    — Je
vais vous retenir une minute, dit-il en souriant, pour les formalités d’entrée
en clinique. Je l’opérerai mardi !
    — Bon !
dit Aigremoine légèrement. Je vais aller faire un peu de lèche-vitrines. Il y a
longtemps que ça ne m’est pas arrivé ! Je vous attendrai à la
voiture !
    Son
parfum (elle ne m’en a jamais dit le secret) resta derrière elle pendant tout
le temps que Joubert mit à m’inviter à le suivre et à refermer la porte
derrière moi.
    Il me
tournait le dos et fit mouvoir son crâne chauve de gauche à droite fort
longtemps. Mon regard fixa ce mouvement qui aurait pu être infini jusqu’à me
persuader que, quelles que soient les réflexions du docteur pendant ces
hochements, ils ne faisaient que confirmer son diagnostic, aussi difficile à
proférer qu’un verdict de cour d’assises. Il me tournait le dos obstinément et,
durant les quelques pas qu’il faisait à dessein lentement pour ne pas me
montrer son visage, il ne cessait de faire le même geste que Pardigon l’autre
jour : la main devant lui, les doigts largement écartés et le mouvement
lent du poignet imitant l’aller-retour du balancier. Je lui dis :
    — C’est
un cancer ?
    Il me fit
face.
    — Oui.
De la pire espèce. Un sournois, sans avertissement, qui commence à proliférer
depuis le centre et se propage sur les terminaux avant même d’être apparent à
la palpation.
    — Mais
je croyais…, dis-je.
    — Ah
les mais ! s’exclama-t-il. Vous avez beaucoup trop attendu ! Vous
êtes tous les mêmes ! Vous croyez tous que ça passera, que ce n’est qu’un
bobo ! Même si en votre for intérieur vous êtes bien persuadé du
contraire !
    — Alors ?
    — Je
vais l’opérer bien sûr ! Elle entre en clinique mardi… mais, vous savez,
ne vous faites pas d’illusions, vous n’aurez plus la même femme entre vos bras.
Je vais pratiquer l’ablation très large, mais dans ces cas-là la récidive est
la règle sur l’autre sein. Il n’y a pas d’alternative.
    Je
retrouvai Aigremoine devant la voiture et notre sourire à elle et à moi ne
révélait aucune appréhension. Nous avions dévolu notre sort entre les mains du
docteur Joubert. Il ne nous restait plus qu’à attendre.
    Le
docteur Joubert ne nous rendit Aigremoine que quinze jours plus tard. Nous
attendions, Julie et moi, devant la porte de la clinique parmi l’odeur des
seringas. C’était au mois de mai. Digne savourait le printemps par tous ses
jardins et le bruit de la Bléone sur ses galets cascadants. Quand ma femme
apparut devant la porte vitrée à côté de l’infirmière qui tenait sa valise, je
reçus un choc. Elle avait baissé d’une octave sa superbe démarche et une onde
de blanc saupoudrait ses cheveux. En outre, du côté intact de son visage un pli
d’amertume à peine esquissé s’était inscrit au coin de sa lèvre.
    Comme
nous nous élancions vers elle pour l’emprisonner dans nos bras, elle nous
cria :
    — Ne
me touchez pas ! Je n’ai plus qu’un sein !
    J’avais
fait préparer par Rosemonde des ortolans sur rôties pour fêter son retour et
j’avais mis du Champagne au frais. Julie et moi n’arrêtions pas de nous
exclamer sur l’air de jeunesse qu’Aigremoine laissait transparaître sur les
traits intacts de son profil de gauche. Elle nous laissait dire sans que rien
ne transparût dans ses paroles de la terrible certitude qui l’habitait. Déjà,
elle éprouvait qu’elle venait de quitter la rive où s’agitaient les gens bien
portants qui vous encouragent parce que votre désespoir leur est plus
insupportable qu’à vous d’être malade. Ce fut elle désormais qui nous soutint
dans son combat.
    Nos nuits
étaient toujours aussi luxurieuses et l’affreuse cicatrice qui remplaçait le
sein gauche de ma femme, ni Julie ni moi n’en étions révulsés. Notre amour pour
Aigremoine était impassible et puisqu’elle n’aimait rien tant que nos caresses
alternées nous ne nous privions pas de les lui prodiguer.
    Ce fut un
matin comme tous les autres. Je me levai sans

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