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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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vieux…
    — Vous
n’avez que soixante-trois ans. Et moi j’en ai trente-cinq et voyez la menace
qui pèse sur moi.
    Je
compris avec terreur à cet instant que pour l’amener à partager ma conviction,
seule la douleur, seule l’aggravation de sa maladie, en l’affaiblissant
progressivement, pourrait l’amener à changer d’avis par résignation. Ce n’était
pas cela mon dessein. Ce que je voulais c’était qu’à l’instant suprême elle se
sente cueillie par Dieu.
    Nous
étions arrivés sur la place du Tampinet où de nombreux équipages à chevaux
étaient en attente. Le docteur Joubert avait son cabinet boulevard Gassendi. La
plaque de faux marbre noir était encore plus impressionnante que celle du
docteur Pardigon à Forcalquier. Elle annonçait que le docteur était de la
Faculté de Paris, chirurgien des hôpitaux et qu’il ne recevait que sur
rendez-vous.
    J’ai dit
le mal que j’ai eu à ramener au bonheur Aigremoine de Gaussan. Quand j’avais
essayé, devant les dues de Barles, de lui faire admettre combien cet acte
d’inceste était dérisoire par rapport à l’éternité et aux dimensions de
l’univers et combien Œdipe avait eu tort de s’interdire, en se crevant les
yeux, les merveilles de la création, je l’avais, après ce beau discours,
surveillée attentivement pendant des mois, qui réfléchissait là-dessus, et
j’avais des doutes sur la suite qu’elle donnerait à mes paroles.
    Or, il se
trouvait qu’aujourd’hui, devant cette porte aux lettres dorées, elle ne
songeait plus du tout au suicide possible qui aurait mis fin à ses
contradictions.
    La menace
qui pesait sur elle avait effacé l’obsession de son acte d’autrefois.
Maintenant qu’elle risquait de mourir, elle avait envie de vivre. Je le voyais
bien aux petites vanités qu’elle retrouvait peu à peu avec plaisir : le
beau linge, les falbalas, l’art personnel des bouquets bien faits, les stations
et la méditation au pied de notre vieil arbre où elle avait eu l’envie et le
tort de faire graver par Julie nos initiales à tous trois enlacées. Ces signes
de la vie et de l’amour qu’elle lui portait désormais, étaient tout récents et
lui étaient remontés à l’âme d’un seul coup, le jour où elle m’avait fait
toucher sur son sein cette grosseur insignifiante qui était l’estampille de la
mort.
    Il y
avait contre la porte du docteur Joubert une sonnette électrique sur laquelle
j’appuyai. Je n’entendis aucun bruit à l’intérieur mais la porte s’ouvrit
presque aussitôt sur une dame en tenue de sortie.
    Ici, il
n’y avait pas de salle d’attente. C’était un salon cossu à plantes vertes où la
dame nous pria d’attendre.
    Le
docteur parut presque aussitôt. C’était un bonhomme comme moi, à la bonne
franquette, maigre et glabre et très long. Il n’avait qu’une seule coquetterie,
c’était la rosette de la Légion d’honneur qui devait lui servir à rassurer ses
patients.
    Il me
serra distraitement la main. Il s’inclina juste ce qu’il fallait devant
Aigremoine. Il ne cilla pas devant son visage à moitié détruit. Il devait
connaître son histoire. Je voulus suivre ma femme dans le cabinet. Joubert
interposa son bras entre elle et moi.
    — Je
vous verrai tout à l’heure, me dit-il.
    Il avait
l’accent comme moi et comme moi il ne devait jamais avoir consenti à s’en
départir.
    Comme
celle d’un notaire, la porte était capitonnée. Je ne pouvais plus communiquer
avec Aigremoine ni essayer de la consoler par ma constante sollicitude.
    Le bruit
du boulevard n’atteignait pas le salon. J’étais isolé du monde, avec comme
seule compagnie entre les deux fenêtres une reproduction grandeur nature de L’Angélus de Millet.
    Je ne
connaissais cette œuvre, avec indifférence, que par les innombrables chromos
qu’on en a reproduits sur toute sorte de supports. Ce jour-là, j’en eus la
révélation. Combien j’enviais ces deux pauvres hères qui s’en remettaient à
Dieu en toute simplicité. Ils n’étaient beaux ni l’un ni l’autre. Le peintre
avait pris soin de ne pas les faire laids non plus. Leurs traits étaient
effacés par la misère. Leurs mains n’étaient que des outils grossiers pour
ramasser de quoi manger. Ils étaient simplement quelconques. Ils étaient ternes
mais ils s’inclinaient très bas sur la terre et il me semblait, du fond de ma
détresse, entendre entre eux sonner l’angélus.
    Je
marinai longtemps ainsi, assez savant

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