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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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se releva.
    — Regarde-la
à l’endroit ! dit l’ânier.
    Il se
penchait sur l’épaule du meunier.
    — On
dirait quoi ?
    — On
dirait rien ! répliqua le meunier.
    — Ça
représente une bâche ! insista l’ânier. Une bâche comme j’en ai vu une un
jour quand j’étais jeune, sur des Sarrasins de La Garde-Freinet qui avaient
attaqué Manosque et que les Hospitaliers avaient tués à coups de flèches !
    — Oui
mais regarde ! C’est un char !
    — Tu
as vu toi des chars avec des roues pas plus hautes ?
    — Oui,
dit le meunier, un jour j’en ai vu un. Je travaillais au ménage de Cadarache,
c’était un char à six chevaux pour les moissons. Il avait des roues pas plus
hautes que ça !
    — Et
ça là, au bas de la bâche ? Cette chose qui dépasse de la bâche et qu’on
dirait de l’or !
    — C’est
un pied ou une patte avec un sabot, je sais pas quoi. En tout cas c’est plus
gros qu’un pied ou une patte.
    — Et
toutes ces femmes noires qu’on voit de dos qu’on dirait qu’elles sont attelées.
Qu’est-ce que tu crois que c’est ça ?
    — On
dirait des nonnes !
    — On
dirait !
    Ils
s’exclamaient les deux hommes. Ils n’en revenaient pas de leur trouvaille mais
il y avait le vent et l’âne qui se mettait à braire pour qu’on le délivre de
ses sacs de grain. Quand ce fut fait, les compères revinrent à l’air libre. Le
meunier tenait toujours la tablette à la main.
    — Qu’est-ce
que tu vas en faire ? dit l’ânier.
    — Je
sais pas, dit le meunier, mais… cette bâche, je voudrais bien savoir ce qu’il y
a dessous.
    Il se le
demanda jusqu’à sa fin. Il avait placé la tablette sur le manteau de la
cheminée et de temps à autre, debout devant l’âtre, en buvant à petits coups
son infusion de sauge du matin, il la contemplait pensivement.
    Pendant
ce temps, le cheval libre tirait pays avec sa charge de planchettes peintes par
le Poverello et son caparaçon d’enfer et le gonfanon dont la hampe biffait son
corps de la queue au garrot. Il arriva devant Ardantes au petit trot. C’était
sur un peloux, une noire campagne qu’on avait autrefois fortifiée et qui
marquait la qualité des maîtres des lieux par deux girouettes figurant des coqs
qui grinçaient à toute volée sur le faîte. C’était une maison riante pourvue
d’un toit à quatre pentes, flanquée de deux tours qui ne servaient plus qu’au
droit de colombage. Les Ardantes, les Bohémond d’Ardantes prétendaient dans
leur piété qu’il était inutile de bloquer les portes, que Dieu devait pourvoir
seul au salut des habitants et qu’il le faisait. Ardantes au surplus, en dépit
de sa masse, se dissimulait au fond d’une forêt de cèdres.
    Les
derniers rescapés du royaume franc de Jérusalem qui n’avaient pas été capturés
par les Barbaresques au hasard de la mer, avaient rapporté de Terre sainte des
pommes de cèdre dont ils avaient dispersé les graines sur leurs terres. À
Ardantes chez les du Cental, la jeune forêt avait cent cinquante ans. Quand le
vent soufflait, la triste musique de ses rames parlait déjà de la nuit des
temps.
    Un tertre
sous la terrasse témoignait que les maîtres des lieux avaient payé leur tribut
à la peste. Une croix était fichée sur cette tombe faite de deux branches qu’un
seul brin d’osier entrelaçait. Le marquis et ses deux fillettes s’étaient
exténués à creuser cette fosse pour la marquise, en pleurant, et quant à la
croix ils n’avaient à leur disposition que ce moyen rudimentaire d’attester
leur foi en la résurrection.
    À peine
venaient-ils tous les trois, le père au milieu, chaque fille le flanquant
étroitement, d’achever ce travail harassant. Les robes des fillettes étaient
tachées de terre. L’homme était en bottes boueuses. Ils étaient serrés tous les
trois inactifs, les bras ballants, sur le banc de pierre où tant de fois ils
s’étaient serrés à quatre, jouissant de leur joie de vivre et du beau pays
qu’ils pouvaient contempler, par-dessus la forêt, serein et tendre au malheur
des hommes.
    Le cheval
surgit devant eux au milieu du courtil presque sans bruit. Il avait franchi la
voûte du porche au caprice de sa fantaisie et maintenant, immobile, il
regardait ces trois humains en battant du sabot.
    — Oh !
Regarde, Sanche ! Un cheval noir !
    Les deux
fillettes se levèrent d’un seul mouvement.
    C’était
le premier beau spectacle qu’elles contemplaient depuis que la peste

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