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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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sévissait.
Cet animal noir, superbe en dépit de son funèbre manteau, comme déposé tête
haute en plein milieu du courtil et qui les observait alternativement, c’était
un signe de vie pour leur donner espoir.
    — Qu’y
a-t-il qui dépasse des fontes ?
    — On
dirait des choses peintes !
    — Ne
t’approche pas que je ne sais pas si c’est pas un cheval entier !
    Le père
alarmé les mettait en garde.
    Ils
parlaient tous un mélange savant de langue d’oïl et de langue d’oc. La bataille
de Muret n’avait pas assuré tout de suite et partout la suprématie de l’idiome
vainqueur et, deux cents ans après la croisade contre les albigeois, l’oïl et
l’oc se heurtaient encore en une lente bataille jamais gagnée, jamais perdue.
    — Attendez !
commanda le père.
    Il se mit
en avançant doucement à fredonner la psalmodie que si souvent il avait vu
entonner à son père et à son grand-père dans leurs écuries autrefois. C’était
un vrai chant d’amour, une de ces sérénades que les diseurs de sirventes
susurraient sous les fenêtres de leurs belles pour les apprivoiser.
    Il tourna
autour du hongre en une marche incantatoire et ne posa la main sur ses flancs
que lorsqu’il jugea que ses paroles rassurantes avaient apaisé la bête.
    Les
fillettes impatientes suppliaient leur père.
    — Regardez,
père ! cet ouvrage qui dépasse des fontes !
    Elles
envoyaient déjà leurs petites mains qui atteignaient à peine le harnachement du
hongre. C’étaient deux gentes cacoles que leur père destinait aux ordres. Il
était seul désormais. Sa femme avait été emportée par la peste le même jour que
le curé de Reillanne, de sorte qu’on n’avait même pas pu l’administrer. Le
marquis d’Ardantes ne s’en consolait pas, et c’est pourquoi il comptait vouer
ses deux filles à l’ordre de Sainte-Claire dont, depuis sa demeure, il voyait
les toitures du couvent, en contrebas du vallon. Toutefois, comme elles
n’avaient encore que huit et dix ans, il atermoyait.
    Pour
l’instant, pétillantes de curiosité, elles venaient de délester l’animal de
tous les objets que contenaient ses fontes. Le père leur vint en aide. Il
tirait les godets de couleur avec précaution hors de leurs caches. Il ramenait
à lui tous les panneaux où le Poverello avait esquissé les scènes de nuit et de
jour auxquelles il avait assisté. Les fillettes avidement les lui arrachaient
des mains, venaient les étaler sur le banc où tout à l’heure elles étaient
assises.
    — Faites
voir ! dit le père.
    Il les
écartait. Il prenait un des panneaux et l’observait attentivement.
    — On
dirait, dit-il, le château des Hospitaliers de Manosque. Et ceci est le portail
de Guilhempierre.
    Soudain
sur la tablette où les sœurs débouchaient de la rue, il reconnut, à la coiffe,
l’ordre de Sainte-Claire. On distinguait même quelques physionomies dans la
foule de religieuses que le Poverello avait croquées et notamment, cernée de
flambeaux qui burinaient ses traits, la supérieure du couvent sur sa bourrique.
Le peintre pour la croquer n’avait eu que quelques minutes et pourtant la foi
abrupte, sans concession et sans pitié se lisait sur les traits de la prieure.
C’était à tel point que le marquis en eut froid dans le dos. « Jamais, se
dit-il, jamais je ne confierai mes filles à cette inflexible ! »
    Pendant
que tous les trois, les fillettes et le marquis se demandaient ce que pouvaient
bien représenter les scènes qu’ils examinaient, le cheval avait tourné bride.
    — Attendez !
dit Sanche. Il a encore quelque chose sur le dos ! Papa, aide-moi !
    Elle se
hissait sur la pointe des pieds. Elle essayait de détacher des fontes le
gonfanon de Mantoue roulé autour de sa hampe et où deux galons d’or scintillaient
au soleil. Son père vint à son aide.
    Ils
étalèrent sur le sol l’égide épouvantable qui dévoilait maintenant en pleine
lumière le rire de Médée cerné de rayons comme un soleil maléfique. Le marquis
se signa et Sanche et sa sœur se voilèrent la face.
    Pendant
ce temps le cheval avait tourné bride.
    — Que
fait-il ? dit Sanche.
    — Il
s’en va, dit Ermerande.
    Non, il
ne s’en allait pas. Il était immobile, il soufflait des naseaux. Il soulevait
son sabot de gauche et le reposait au sol tête basse. Il essayait dans son
langage de bête de faire comprendre quelque chose à ces humains si loin de lui.
    Sanche
l’observait attentivement. Il faisait deux

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