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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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effervescence du travail sévit partout en les guérets,
en les forêts, en les villes aux rues étroites où soudain on se trouvait à
l’aise, étant moins nombreux.
    La liesse
dura deux ans, deux ans où l’on crut à l’éternité, où les chapelles d’actions
de grâces qui remerciaient Saint Roch s’érigeaient partout où les restes des
temples romains, ou quelquefois grecs, permettaient d’utiliser les pierres à de
nouvelles consécrations.
    Deux ans.
Le printemps bien avancé offrait à la vue des clos superbes, soignés avec amour.
Les pluies avaient été abondantes, les bosquets rutilaient d’un vert tendre
prometteur de récoltes futures et d’herbages opulents.
    C’était
en juin. On cueillait les cerises. On vit soudain poindre un nuage du côté
d’Apt, ayant la forme d’une faucille qui se serait déformée, reformée, avançant
à grande vitesse et soudain obscurcissant le soleil par pulsations.
    Il tomba
d’abord sur les champs et les bois quantité d’excréments minuscules semblables
à de la fiente de pigeon et qui ne sentaient rien. Un homme qui binait ses
salades en son enclos bien tenu ne vit soudain plus les plants. Leur verdure
était devenue d’une vilaine couleur grise qui faisait penser au deuil. L’homme
regardait ça stupidement. Sa femme se releva en hurlant. Elle, c’étaient les
raves dont elle coupait les feuilles pour les assaisonner ce soir avec du lard.
Elle se trouva tenant en main un bouquet de cardes lequel soudain fut éteint
par tout ce gris et qui n’avait plus que les nervures. Un volettement fébrile
soulevait l’air. Une averse visqueuse bruissait sur les épaules autour des
oreilles des jardiniers. Le soleil se couchait partout et pourtant il
continuait à faire jour.
    — Qu’est-ce
que c’est ? demanda l’homme stupidement.
    — Des
sauterelles, imbécile ! Tu n’as jamais vu de sauterelles ?
    — Si !
Mais trois quatre, pas un tapis !
    Ils se
regardèrent l’un l’autre. Ils étaient hideux. Les sauterelles s’étaient
emmêlées dans leur chevelure imitant la toison hérissée de la Gorgone.
    La masse
était sans cesse en mouvement. À mesure qu’elle s’alentissait sur la terre, ne
s’arrêtant que pour soulever les élytres et pondre abondamment, le jardinier
s’aperçut que les fèves, lesquelles pourtant ce matin encore commençaient à
fleurir, n’existaient plus de même que les salades. Il se rua vers la cabane
pour prendre une bêche. Il se mit à taper comme un forcené. La femme qui criait
toujours giflait le sol à grands coups de tablier, écrasait les insectes d’un
soulier vengeur. Sur Mane, sur Forcalquier, sur Dauphin, sur Manosque et
jusqu’à mi-hauteur de Lure la giboulée de sauterelles ne s’arrêta qu’à la nuit
et reprit au matin.
    Ces vols
n’étaient pas sans fin. Ils se succédaient. Mais les premiers avaient déjà tout
dévoré et les suivants mouraient de faim. Les premiers jours, les hommes
résistèrent grâce aux provisions des maisons, des granges et des greniers. Les
puits étaient souillés, les ruisseaux charriaient des traînées d’insectes. On
essaya de les faire cuire au moment de leur mort. Les élytres et les pattes et
le thorax étaient coriaces comme écailles de poisson et le goût soulevait le
cœur.
    Le comte
d’Ardantes vit comme tout le monde s’abattre ce fléau. La petite fille de
Porchères sauvée de la faim avait survécu grâce au lait de cette ânesse et
maintenant elle avait trois ans et les filles du comte s’occupaient d’elle
passionnément. Ce jour-là on l’avait sortie sur la terrasse devant les cèdres
dont l’odeur montait jusqu’à la terrasse.
    Le comte
découvrit tout de suite que ce nuage en forme de faucille apportait le malheur.
Il appela ses filles.
    — Vite
Ermerande et toi Sanche, prenez Clermonde ! Rentrez-la à la maison et
fermez bien la porte !
    Lui-même
resta un long moment dehors. De l’autre côté du chemin qui montait jusqu’aux
yeuses d’Haurifeuille, il pouvait voir tout le nord obscurci par cette fois
trois de ces faucilles palpitantes qui filtraient le ciel. Il les voyait,
titubant comme un être ivre, dépourvu de raison, aveugle et tâtonnant vers tous
les horizons, ne sachant où aller.
    Les trois
chèvres qui broutaient paisiblement le long des buissons succulents à leurs
babines se trouvèrent soudain fouettées par une grêle chaude qui les mit en
panique. Elles foncèrent vers l’écurie. L’ânesse se mit à

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