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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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enrôlés leur
permettrait de recouvrer leur gagne-pain.
    C’était
le grand épanchement de détritus que la guerre laisse à sa suite. Les blessés
étaient en guenilles, le sang séchait encore sur leurs pourpoints, sur leurs
chausses. Une odeur épouvantable diffusait dans l’air, faisant suivre à la
trace tout ce malheur du monde, cette perte du quant-à-soi, cet amalgame de la
sanie, des défécations, des vomissures de ceux qui n’en pouvaient plus de tant
d’horreur.
    Tancrède
et son père n’en croyaient pas leurs yeux, observaient cette multitude hagarde
ne sachant où était le bout de sa route et qui se hâtait en vain vers un
lendemain sans changement. Ils ne savaient plus pourquoi ils cheminaient ainsi
à la trace du plus grand roi de la terre qui ne se souvenait plus d’eux et
qu’ils suivaient comme des chiens qu’un maître a chassés à coups de pierres.
    — Mais
papa…, demanda Tancrède. C’est une défaite ?
    — Non !
C’est une victoire. Et c’est ça que je voulais te faire voir. Il faut que tu
apprennes qu’en guerre, une victoire ou une défaite c’est la même chose.
    L’embarras
royal cependant poursuivait sa route vers Lincel et le gué du Largue où tout le
monde allait se retrouver serré dans l’étroit vallon qui remonte vers Montfuron
en vue d’atteindre Manosque et la Durance.
    Le Mèche
et son fils rêveur revenaient à la maison, pensifs et muets. Ils songeaient
tous deux combien leur vie n’était ni affectée ni charmée par tout ce charroi,
ce grand pan d’Histoire de France qui venait de défiler devant eux.
    — Tu
vois, disait le Mèche, ça sert à rien tout ça. Si ces multitudes étaient
brusquement immobilisées par la mort, dans dix ans il n’en resterait que de la
poussière ! Les batailles, dit-il, la gloire est pour ceux qui les
racontent, pas pour ceux qui les font. Chaque fois qu’une armée se déplace c’est
la mort qu’elle met en route ! Nous avons mille chances d’être un jour
semblables à ces misérables, nous n’en avons aucune d’être Bayard ou François
Premier. C’est ce que je voulais t’enseigner. Pour nous la guerre ressemblera
toujours à la queue de cette armée. La guerre, dit-il, ça fait perdre son
quant-à-soi. On n’a plus aucune chance à la guerre de conserver le rêve de sa
vie.
    Après le
passage du roi François et de son armée ravageuse dans notre terroir, il y eut
à faire face à un phénomène qui nous a en tout temps guettés et qui tient à la
nature de notre climat excessif en tout.
    Quelques
ronge-mailles de la tourbe des sans-solde qui suivaient l’ost sans espoir et
qui s’endormirent le soir vannés, au retour d’Italie, dans la boue et sous la
pluie battante, s’éveillèrent au matin dans leurs guenilles presque sèches et
sous un soleil éclatant.
    L’envie
prit à quelques-uns de connaître Forcalquier. Ils furent quelques dizaines qui
n’hésitèrent pas, tête contrite et découverte, à ouïr la messe chaque matin
afin d’apprivoiser l’indigène. Sur le parvis, face à la fontaine, le soleil
réchauffant les reçut béats.
    De là ils
s’égaillèrent à la chasse avec leurs armes bien en main. Aucun petit seigneur
n’avait les moyens de les arrêter ni de les poursuivre. Ce fut une incommodité
qui s’incrusta. Les truands braconnaient ouvertement et, si d’aventure ils
trouvaient quelque ruche, ils la gâtaient. Les poulaillers non plus, ils ne les
épargnaient pas. Ils vendaient ouvertement leur gibier et fixaient les prix.
Comment résister à des hommes qui portaient l’épée et qui pour un oui pour un
non mettaient la main à la garde ? Ils ne manquaient d’ailleurs aucune
messe le dimanche matin, quitte ensuite à se camper sous le porche pour
mendier.
    Le
Clastre-Vieil et son escalier bien exposé étaient leur empire solaire. Ils s’y
vautraient, ils s’y radassaient, le verre et la gourde toujours bien à portée.
La chaleur de ces lieux était toujours propice. On n’avait presque besoin de
rien d’autre. Parfois l’un de ces reîtres disparaissait mystérieusement. On
entendait des cris la nuit. Bientôt, il ne resta que les plus forts. Ceux-ci
devinrent menaçants. La ville exsangue n’avait pas de quoi entretenir des
hommes d’armes. Malgré cela, les consuls firent la quête auprès des quelques
bourgeois qui tant bien que mal à force de commerce avaient reconstitué leur
fortune et pouvaient fournir quelques subsides. On débaucha cinq des

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