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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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partout quantité. C’est du moins le bruit qu’on
avait fait courir pour ne pas les montrer au roi, lequel passait pour ne
manquer aucune occasion de s’agiter le pilon.
    Heureusement,
nous avions cinq ou six malandrins dûment jugés qui moisissaient en prison, rue
Droite, et qu’on destinait à la potence. Ce fut la belle occasion d’en rendre
hommage au monarque. Ça coûterait moins cher qu’une grande fête et ça
prouverait au roi que ses fidèles sujets demeuraient gardiens intransigeants de
l’ordre. Le gibet fut dressé en un clin d’œil, en un instant les sentences
furent prononcées. Quand François I er dépassa le coin de
Clastre-Vieil, les cadavres étaient encore chauds et leurs verges toutes raides
étaient au garde-à-vous. Les deux dames de haut parage qui flanquaient
étroitement leur seigneur lui en firent une honnêteté, disant qu’aucune n’était
comparable à celle de Sa Majesté.
    Le Mèche
et son fils s’étaient dissimulés derrière les Mourres au bord du chemin. De là
ils virent deux viguiers en hermine sale qui attendaient chapeau bas et genou
en terre. Ceux-ci restèrent dans cette position pendant tout le temps où défila
l’avant-garde de l’armée, laquelle avait fière allure. C’étaient les grands
barons du royaume, ceux qui payaient d’un régiment entretenu à leurs frais le
droit de se faire tuer à la garde du roi. Plusieurs étaient altiers, d’autres
avaient la mine basse et leur turpitude se lisait sur leurs traits.
Quelques-uns, il est vrai, n’avaient aucune mine. Ils étaient devenus
inexistants sous les cinquante lieues qu’ils venaient d’accomplir.
    La pluie
avait cessé. Le pays de Forcalquier avait étendu sur l’armée son manteau de
soleil. Au-dessus de tout l’arc alpin, du sommet de Lure jusqu’à la tête de
l’Estrop, la pluie était cependant présente sur un immense pourtour. Un prisme
de gloire se soutenait au-dessus du cortège royal en un arc-en-ciel de toute
beauté. L’armée, miraculeusement rescapée de la pluie, se ressuyait lentement.
    Le roi,
sur le parvis de la concathédrale, ouïssait hâtivement la messe et c’était un
spectacle formidable que de voir à son tour le plus grand roi de la chrétienté
agenouillé dans les flaques d’eau que l’averse récente avait formées parmi les
dalles, devant un humble prêtre, armé du simple saint sacrement, car selon une
coutume rayée du rite chez les Franchimans mais qu’on avait oublié d’abroger au
rattachement de la Provence, le roi ne pénétrait pas en la cathédrale, bien de
Sa Sainte Mère l’Eglise. Devant le parvis, l’antique antienne qui inclinait
symboliquement tous les rois de la chrétienté retentissait encore. Toutefois
les rois n’aimant pas, fut-ce par Dieu, ouïr discuter la moindre de leurs
prérogatives, c’était en chevrotant, balbutiant ou grommelant et toujours en
latin, que les prêtres ânonnaient la célèbre sentence de Saint Rémi :
« Brûle ce que tu as adoré et adore ce que tu as brûlé. »
    Pendant
ce temps, l’étroite tranchée où basculait le chemin, avant la descente sur
Mane, vomissait l’armée, dans le cliquetis des lances entrechoquées. Les canons
défilaient, poussés, tirés, attelés. Ça durait longtemps. Il y en avait bien
une centaine. À la suite de tout ce tremblement après un large intervalle entre
les deux, la cour cernant Sa Majesté s’avançait dans la pompe claquant au vent
des étendards pris à l’ennemi et qu’on avait liés aux hampes des flammes qui
distinguaient les uns des autres les grands féodaux franchimans. Avec un peu de
crainte dans la voix, le Mèche serra le bras de son fils.
    — Regarde !
C’est lui ! C’est François Premier !
    — Il
est si grand que ça ?
    — Non !
Tu regardes pas le bon ! Lui, le plus long, c’est Pierre Terrail !
C’est Bayard !
    Un peu de
peuple sur le côté du cortège s’était amassé, piétinant. Il acclamait. Mais ce
n’était pas le roi. C’était Bayard à qui l’on faisait un triomphe. Le roi de sa
main fine le désignait avec bienveillance aux acclamations. Il dépassait son
maître d’une demi-tête et la rigueur de sa mise (sauf la grande épée qu’il
portait au côté) était garante de la simplicité de son cœur de montagnard. À
quarante ans qu’il avait alors, il avait grande allure à côté du roi, le cul
tanné par mille chevauchées, avec cette armure pesant quinze livres sur
laquelle avaient sonné en vain les

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