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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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à Tancrède, toi et moi nous vivrons sans Dieu !
    Ils
étaient inconsolables, Clairance avait été leur sel de la terre. Son
enjouement, sa formidable vitalité, leur avaient insufflé une joie de vivre qui
s’était éteinte avec elle.
    Des
années durant, l’un devant l’autre, mangeant sans appétit et buvant sans soif,
ils n’eurent pour toute consolation que les saisons à contempler.
    L’athanor
s’était éteint à jamais. On l’avait entendu toute la nuit, pendant l’agonie de
Clairance, craquer comme un homme meurt dans les gémissements. Au matin, il
était noir et froid. Jamais plus le Mèche ne le ranima. Il détruisit le
soufflet, enterra la peau de taureau, vendit pour quelques liards le fourneau
divin au forgeron du pays qui en fit quatre âges pour le train des charrues où
il était passé maître.
    Cependant,
comme en toute existence, le chagrin séchait dans l’esprit des deux hommes. La
vie affluait dans le corps de Tancrède et le temps lui distillait l’espoir de
plus en plus fort. Un jour, il dit à son père :
    — Tu
m’avais promis de m’apprendre à vivre cent ans.
    Il avait
près de dix-huit ans alors. Il tenait de sa mère un corps harmonieux quoique
fort robuste et une taille qui avoisinait les six pieds.
    — C’est
ce que je suis en train de faire, dit le Mèche.
    — Mais
tu ne me dis rien !
    — Je
n’ai rien à te dire, tu n’as qu’à regarder ! Tout t’apprend !
    Il avait
examiné les pupilles de Tancrède dès sa naissance, attentivement et
anxieusement, et il avait tout de suite compris à leur brillance étonnée qu’il
serait de ceux qui observent le monde. Ç’avait été pour lui un grand
soulagement.
    — Tu
veux que je te parle, dit le Mèche, je pourrais le faire des heures durant. Il
y a des années que je rumine ce que j’ai à te dire. Je ne l’ai jamais fait par
pudeur mais, puisque tu t’en étonnes, je vais te dire en peu de mots :
d’abord ne fais jamais comme tout le monde. En ne suivant personne et en
réfléchissant d’abord, tu es sûr de te tromper le moins possible – pas
jamais ! Ça ce n’est pas possible ! Réfléchis avant d’agir, ne te
laisse jamais aller à ton premier mouvement, mais surtout réfléchis avant de
parler ! N’aie pas d’amis qui ne respirent pas à ta hauteur. Sois
solitaire mais sans ostentation. Sois dissimulé. Ne proclame jamais ta nature.
Chaque fois que tu penses « moi je », mords-toi la langue pour te
taire. Jouis paisiblement de ta solitude au milieu des autres. On te dira le
contraire. On te dira qu’on est plus fort en s’unissant. Ce n’est vrai que pour
les choses matérielles. Pour celles de l’esprit c’est faux et pour celle de la
survie encore plus ! On se tire du péril plus facilement inaperçu dans une
botte de foin qu’à dix mille !
    — Je
ne vous suivrai pas partout, père ! On gagne quelquefois à être seul et
quelquefois on perd ! Il faut se laisser instruire au fil du temps qui
passe. Je ne nourrirai pas un athanor !
    — Je
l’ai fait pour ta mère, grommela le Mèche. Elle voulait de l’or. Et à propos,
dit-il, sais-tu ce que c’est que la pureté ?
    — L’eau
qui coule au canon de la fontaine dont on voit le fond.
    — Ne
réponds pas si vite ! Ce n’est pas ce que je te demande. Ce que je te
demande c’est la pureté de ton âme et de ton cœur et si je t’interroge
là-dessus, c’est parce que moi je n’ai pas su me répondre !
    Ils se
disaient tout ça en gravissant la dernière crête de Lure, l’un avec grâce,
l’autre en soufflant. C’était la nuit. Les deux hommes connaissaient
l’obscurité de leur montagne et s’y déplaçaient sans même y songer. Les
horizons sont si vastes par ici que jamais le noir n’y est sans lumière. Et
c’est là sur ces sommets dont les croupes étaient toujours suaves à contempler
qu’on pouvait le mieux se convaincre que l’univers est rond et que ce qui est
trop loin pour être visible ne dissimule qu’un vide sans limite.
    Le
silence du ciel communiait avec celui de la terre. Une chevêche au loin, seule
dans la forêt en contrebas, pleurait la vie absente sous les hêtres immobiles.
    Le Mèche
avait fait un berceau de ses mains et il les levait à la verticale comme pour
s’efforcer d’embrasser le ciel.
    — Nous
sommes les témoins de ça, dit-il. C’est uniquement pour ça que nous avons été
créés et même c’est la seule chose que nous soyons capables de

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