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Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
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faire souffrir les
animaux. Ramassez votre coiffe !
    Elle
répéta :
    — Vous
regrettez ?
    — Je
n’avais pas le choix. Mais c’est contre mes principes. Mon père m’a appris…
    — Vous
avez un père, vous ?
    — Tout
le monde a un père.
    — Pas
moi ! dit la nonne violemment. Moi, mon père m’a forcée d’entrer au
couvent parce que j’ai un frère aîné et qu’il aura tout ! Je ne veux pas
être nonne !
    Elle
frappait le sol du pied. Elle était l’image du désespoir.
    — Je
ne veux pas m’agenouiller devant ma supérieure. Je suis une Provenchères. Je
m’appelle Julie de Provenchères ! Je ne veux pas m’appeler sœur
Julie ! Je n’aime rien de tout ce qu’elles font, de tout ce qu’elles
pensent ! Elles aiment Jésus du bout de la langue ! Elles n’y pensent
jamais ! Moi, j’ai envie de fleurs, d’oiseaux ! J’ai envie de chanter !
    Elle
joignit les mains.
    — C’est
tellement beau la vie ! Elles m’ont privée de manger ! Elles m’ont
tondue ! Trois fois la semaine elles viennent sur la pointe des pieds la
nuit arracher ma literie pour voir où j’ai les mains !
    — Arrêtez !
cria Tancrède. Qu’est-ce que vous voulez que je fasse ?
    Il
écartait les bras en signe d’impuissance.
    — Vous
auriez dû les laisser faire ! Je serais morte sous leurs assauts !
    Elle le
regardait en pleine face. Elle avait un visage ingrat parsemé d’éphélides. Elle
le lui offrait à déchiffrer comme on montre des traces de coups, de maladie ou
d’hérédité. Elle attendait de lui plus qu’il ne pouvait lui donner.
    Avec une
infinie lenteur et en freinant de toutes ses forces, Tancrède sentit se lever
dans son âme un sentiment qui le portait à la rencontre de l’autre ; un
sentiment depuis longtemps attendu mais qu’il n’acceptait pas sans terreur. La
révolte le soulevait mais ce n’était pas pour son propre compte. Il eut tout de
suite envie de faire pièce au destin de cette fille.
    Il
l’observait intensément. La compassion véritable n’a pas besoin d’objet. Cette
nonne était insignifiante. Elle n’était pas belle, elle traversait l’âge ingrat
et cette ingratitude de l’âge, Tancrède avait bien l’impression qu’elle pouvait
se prolonger à l’infini.
    La pluie
tombait autour d’eux et sur eux. Les larmes de la pluie gouttaient au bord de
leurs cils, de leur menton, mais en vérité la gamine avait les yeux secs,
c’était Tancrède qui pleurait de pitié impuissante. Il était en pleine
dysphorie. L’avenir lui apparaissait sous les couleurs sombres d’un ciel
révulsé. Derrière la nonne, il regardait aussi fixement les cadavres de ces
deux hommes qu’il venait de tuer. Tuer à dix-huit ans est un acte qui modifie
tout de suite le caractère et l’avenir de celui qui en est coupable, et peu
importe que les victimes soient elles-mêmes des assassins. Le poids de
l’événement était lourd à supporter. Tancrède avait aussi conscience que s’il
laissait s’échapper cette nonne vers la cruauté de son destin, le sien propre
pourrait être resplendissant, mais que l’ombre qu’il aurait créée en fermant
les yeux sur celui d’autrui l’obscurcirait pour le restant de sa vie. C’était
un choix immédiat qu’il devait faire, aussi urgent que l’instinct qui l’avait
poussé à assommer les deux agresseurs.
    « Réfléchir
avant d’agir mais surtout avant de parler. » Ces mots de son père étaient
à peine vieux de quelques jours et déjà il devait les transgresser.
    La
fillette devait peser le poids d’un agneau. Elle était petite, elle n’avait pas
de grâce. Il songeait à un chaton ayant perdu sa mère et qui miaulait un jour
sa détresse en cherchant dans l’herbe où pleurer son malheur. Tancrède avait
alors douze ans et c’était la famine. Il avait détourné les yeux de cette
pitié. Il s’était éloigné sans rien faire. Les miaulements du chat il avait
fini par ne plus les entendre, mais alors il s’était arrêté pour pleurer. Ce
chaton était imprimé sur sa rétine pour toujours, avec ses yeux chassieux et sa
minuscule carcasse effrayante de maigreur. Parfois ce souvenir le marquait au
fer rouge. Que serait-ce alors avec un être humain de quatorze ans ?
    Elle, de
son côté, elle savait que s’il s’en allait comme ça, s’il lui avouait son
impuissance, c’en serait fini de l’avenir, qu’il ne se représenterait pas deux
fois une sorte d’ange pour la

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