Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Chronique d'un chateau hante

Chronique d'un chateau hante

Titel: Chronique d'un chateau hante Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Magnan
Vom Netzwerk:
qu’elles sont immobiles, il se fait pas du travail chez elles
aussi ? Ce matin, avant de descendre, je suis passé au pied de ce chêne,
je l’ai mesuré du haut en bas. Je suis resté là à penser pendant au moins cinq
minutes. C’est long cinq minutes quand on pense. Et c’est pas volontiers après
que je suis descendu dans le boyau. Vous savez, maître, je ne suis qu’un pauvre
homme, je réfléchis pas vite mais vous voyez, maintenant, même si vous me
donniez dix liards la journée et qu’il y ait assez d’air en bas dedans, jamais
je n’y retournerais, jamais je n’attaquerais des racines que vous vouliez nous
faire couper.
    Il
respira un bon coup avant de poursuivre car c’est difficile de faire comprendre
ce qu’on pense à un patron.
    — Ce
serait un assassinat, dit-il, et moi je refuse d’assassiner cet arbre.
    La pluie
était battante. Son grand désespoir fécond s’étendait uniforme sur toute la
forêt et sur les sommets de Lure où les brumes en lambeaux se déchiraient.
    Le Mèche,
les pieds dans l’eau, resta longtemps à écouter pleurer la pluie. C’étaient les
moments de sa vie où la paix de la nature le pénétrait tout entier. Il mit
longtemps à comprendre que c’était sa conscience, par la bouche de cet homme
inculte, qui lui avait parlé avec véracité.
    Ce fut à
cette occasion que le Mèche commença à péricliter. Il dut bientôt s’appuyer sur
une canne pour gagner le bosquet de lauriers qu’il avait taillés en quinconce
autour d’une chaise dépaillée où il aimait s’asseoir. Le rond de lauriers qui
limitait le ciel permettait au vieillard de ne voir qu’un morceau de celui-ci.
Le rêve devant un fragment de ciel est toujours plus fécond que devant son
immensité.
    L’énigme
que lui posait le mystère du couvent ne cessa de le tourmenter. Il avait bien
conscience qu’il existait une connivence entre l’arbre et l’hôte de la crypte
écroulée. D’autant qu’il avait découvert à Provenchères, où désormais Julie et
Tancrède résidaient, le reste des tablettes perdues par le cheval du peintre de
Mantoue où celui-ci avait esquissé la marche du chariot depuis le château des
Hospitaliers à Manosque jusqu’à la crypte du couvent des clarisses.
    Cette
passion le maintint en vie jusqu’à un âge avancé. Il mourut en hiver quand la
pluie tombait. Sa dévorante curiosité l’accompagna jusqu’aux limites de sa
connaissance. Il fit venir Tancrède, lui parla sans témoin.
    — Je
sais, lui dit-il, que derrière cette barrière de racines quelque chose de
prodigieux s’abscond et je regrette de mourir et je regrette ! Je mourrai
sans savoir ! Jure-moi que toi, tu feras ce qu’il faut pour savoir !
    — Je
vous le jure ! dit Tancrède.
    Mais le
Mèche ne put l’entendre. L’instant où il parla à son fils et l’instant où
celui-ci lui répondit avaient suffi pour qu’il passât de vie à trépas.
    Tancrède
ne tint jamais compte du serment fait à son père. Il lui arrivait de lui
adresser la parole à travers l’éternité.
    — De
là-haut, disait l’âme de Tancrède à celle du Mèche, tu dois savoir maintenant
que tu n’avais pas le droit de couper les racines de cet arbre et tu dois me
savoir gré de n’avoir pas essayé de le faire.
    Le siècle
se poursuivait paisiblement par l’un de ces grands calmes précaires pour les
individus où l’Histoire cesse d’inscrire les prouesses des potentats à son
tableau d’honneur et où les hommes peuvent se refaire une santé et se remettre
à rêver. Les épidémies s’endormirent. Les deux trublions qui avaient tant agité
les croyants, Sa Majesté très chrétienne et Sa Majesté très catholique,
s’éteignirent à un an de distance. François le premier et Charles tout de suite
après.
    Mais pour
François, il y avait déjà longtemps que l’opulente Italie avait appris au
rustre roi de France la suprématie de la beauté, de la finesse et de l’esprit
sur la force et la volonté de puissance. Au contact de cette mère des arts, son
humanité s’était nuancée, s’était dégrossie. Il avait compris que le bonheur de
son peuple commandait le sien et que celui-ci était le plus beau château de son
royaume.
    Il
s’ensuivit un long repos de l’Histoire de France et des Français. On pouvait
goûter la paix du soir, assis sur les bancs au bord des maisons et sans aucune
autre pensée dans la tête que la contemplation du monde.
    Tancrède
se moquait comme d’une

Weitere Kostenlose Bücher