Claude, empereur malgré lui
l’intelligence et la loyauté de ses hommes. Ils pouvaient, il est vrai, s’indigner aisément, embrasser son parti et ne dédaignaient pas dans cet état d’esprit d’accepter quelques dons en espèces. De là à trahir ouvertement leur serment de soldat, la marge était grande. Il n’était pas aussi facilement monnayable. Suivre leur chef jusqu’au bout de la terre, d’accord ; mais pas jusqu’à Rome, son centre. Il faudrait plus de dix pièces d’or pour les persuader d’embarquer pour l’Italie, avec la promesse de quarante autres à l’arrivée. Quitter leur province et envahir l’Italie était un acte de rébellion et le châtiment d’une rébellion manquée était la mort – la mort pendant la bataille, ou la mort sous l’épée du bourreau – peut-être même la mort par flagellation ou crucifixion, s’il prenait envie à l’empereur de faire un exemple.
Un certain nombre d’officiers se réunirent pour décider s’ils allaient oui ou non suivre Scribonianus. Une certaine sympathie se manifesta en sa faveur mais nul ne se montra partisan convaincu de la rébellion. De toute façon, personne ne souhaitait la restauration de la République. Scribonianus leur avait dit qu’il comptait sur leur soutien tout en laissant entendre qu’il les abandonnerait à la juste colère des soldats, s’ils refusaient de se joindre à lui pour défendre une aussi noble cause que le retour aux anciennes libertés de Rome. Les officiers décidèrent de gagner du temps. Ils lui envoyèrent une délégation pour l’informer qu’ils ne s’étaient pas encore mis d’accord, mais lui feraient connaître leur décision commune – s’il voulait bien leur pardonner leurs scrupules de conscience – le jour où l’expédition prendrait la mer. Scribonianus leur accorda toute latitude (il ne manquait pas d’hommes compétents à mettre à leur place au besoin) mais il les prévint que s’ils refusaient de se rallier à lui ils devaient se préparer à mourir pour leur entêtement. Plus important encore que cette réunion d’officiers, il y eut un rassemblement secret de porte - étendard, de sergents et de caporaux, justifiant tous de plus de douze ans de service et pour la plupart mariés à des femmes dalmates, ayant fait sur place toute leur carrière, une légion romaine n’étant presque jamais déplacée d’une province dans une autre. La 7e et la 11e légion, considéraient, en fait, la Dalmatie comme une résidence définitive et rien d’autre ne leur importait que de s’y établir le plus confortablement possible et de défendre leurs possessions.
Le porte-enseigne du 7e régiment prit la parole en ces termes : « Dites-moi, camarades, avez-vous vraiment l’intention de suivre le général en Italie ? L’aventure paraît bien risquée, sans compter la question de l’honneur du régiment. Nous avons juré fidélité à Claude, pas vrai ? Il a toujours été correct avec nous, non ? Possible qu’il ait une dent contre le vieux Scribonianus, mais lequel des deux a raison ? Possible aussi que le vieux ait, lui aussi, un compte à régler. Pourquoi ne les laisserions-nous pas se débrouiller ensemble ? Je suis prêt à me battre contre les Germains, les Maures, les Parthes, les Juifs, les Bretons, les Arabes, les Chinois – qu’on m’envoie n’importe où – c’est mon travail de soldat. Mais je refuse de me battre en Italie contre la Garde. On dit que l’empereur est très populaire auprès des soldats de la Garde et, d’ailleurs, il est ridicule à mon avis d’envisager un combat nous opposant les uns aux autres. Le général n’aurait jamais dû nous demander ça. Pour ma part, je n’ai pas dépensé ma prime et n’ai pas l’intention de le faire. Je vote pour qu’on laisse tomber toute cette affaire. »
Ils furent tous d’accord. Mais les jeunes recrues et certaines fortes têtes – vieux soldats cabochards – étaient à ce point excités par la perspective de l’argent facile à gagner et d’un abondant butin qu’avant même la réunion, la question s’était posée de trouver le moyen d’enrayer la révolte sans effusion de sang. Quelqu’un eut une bonne idée. Une mutinerie qui avait éclaté au sein même de ces deux régiments s’était brusquement apaisée grâce à l’intervention d’un mauvais présage du Ciel : une éclipse suivie d’une pluie torrentielle ; pourquoi ne pas fournir un mauvais présage
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