Claude, empereur malgré lui
débats en tant que juges. Il se trouva que je souffrais d’un rhume opiniâtre qui réduisait ma voix, déjà faible de nature, à un simple murmure ; mais j’avais Narcisse, Polybe et le colonel des gardes à mes côtés et, si je souhaitais procéder au contre-interrogatoire d’un prisonnier ou d’un témoin, je tendais à l’un d’entre eux une liste de questions à poser en mon nom, ou bien je les chuchotais moi-même. Narcisse se montra le meilleur porte-parole, aussi faisais-je appel à lui plus souvent qu’aux autres ; et ceci fut la cause d’un malentendu. Plus tard, mes ennemis prétendirent qu’il avait poursuivi le procès de sa propre initiative : un simple affranchi traduisant en justice des nobles romains, quel scandale ! Narcisse se montrait certes indépendant et sûr de lui et j’avoue que je partageai l’hilarité générale soulevée à ses dépens lorsque le fidèle affranchi de Scribonianus auquel il faisait subir un contre-interrogatoire montra la vivacité et la promptitude de ses reparties.
N ARCISSE : Tu étais un affranchi de Furius Camillus Scribonianus ? Tu as assisté à sa mort ?
L’ AFFRANCHI : En effet.
N ARCISSE : Étais-tu au courant de ses projets de rébellion ? Connaissais-tu ses complices ?
L’ AFFRANCHI : Suggères-tu donc que j’étais indigne de sa confiance ? Que s’il avait des complices, comme tu les appelles, dans cette prétendue rébellion, j’accepterais de les trahir ?
N ARCISSE : Je ne suggère rien. Je te pose une question claire et nette.
L’ AFFRANCHI : Alors, ma réponse sera claire et nette. Je ne m’en souviens pas.
N ARCISSE : Tu ne t’en souviens pas ?
L’ AFFRANCHI : Voici les derniers mots qu’il m’adressa : « Quoique j’aie pu te dire sur cette affaire, oublie-le. Je veux que mes secrets meurent avec moi. »
N ARCISSE : Je peux donc en déduire que tu étais dans la confidence.
L’ AFFRANCHI : Déduis-en ce que tu veux. Cela ne m’intéresse pas. Au moment de mourir, mon maître m’a enjoint d’oublier. Je lui ai obéi au doigt et à l’œil.
N ARCISSE , s’avançant d’un air irrité au milieu de la salle, si bien que le témoin me devient invisible : Par Hercule, un affranchi vraiment honnête ! Et dis-moi, mon ami, qu’aurais-tu fait si Scribonianus s’était sacré empereur ?
L’ AFFRANCHI , avec une chaleur soudaine : Je lui aurais gardé ma fidélité, mon ami, et serais resté bouche cousue.
Quinze nobles ou ex-nobles insurgés furent mis à mort, parmi lesquels un seul était sénateur, un certain Juncus, magistrat de premier rang, auquel je fis résigner ses fonctions avant de le condamner. Les autres sénateurs s’étaient suicidés avant d’être arrêtés. Contrairement à la coutume établie, je ne confisquai pas les biens des rebelles exécutés, mais j’en laissai la jouissance à leurs héritiers, comme s’ils s’étaient tués selon les règles de la bienséance. Dans trois ou quatre cas, même, quand on s’aperçut que leurs biens étaient grevés d’hypothèques – raison probable de leur participation à la révolte – j’offris de l’argent à leurs héritiers. Je m’étais laissé dire que Narcisse avait touché des pots-de-vin pour taire les preuves de la culpabilité de certains rebelles : ce ne peut être qu’une invention. J’ai mené moi-même les enquêtes préliminaires avec l’aide de Polybe et j’ai consigné les dépositions par écrit. Narcisse n’a pas eu la possibilité de supprimer un seul des témoignages. Pourtant, Messaline avait accès à ces papiers et il se peut qu’elle en ait détruit certains ; il m’est impossible de dire si elle l’a fait ou non. Mais ni Narcisse, ni Polybe n’y ont touché hors de ma présence. On a également prétendu que des affranchis et des citoyens avaient été mis à la torture dans le but de leur extorquer des aveux. C’est faux. On a appliqué la question à quelques esclaves, non pour les forcer à témoigner contre leurs maîtres, mais pour les faire déposer contre certains affranchis que je soupçonnais d’avoir porté faux témoignage. La rumeur selon laquelle j’avais torturé des affranchis et des citoyens doit trouver son origine dans l’affaire des esclaves de Vinicianus auxquels il avait accordé la liberté, quand il avait constaté l’échec de la rébellion, pour les empêcher de témoigner contre lui
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