Claude, empereur malgré lui
sous la torture ; il avait antidaté d’un an leur affranchissement sur l’acte d’émancipation. C’était un procédé illégal ; dans tous les cas, ils étaient encore susceptibles d’être soumis à la question d’après une loi votée sous Tibère pour éviter cette sorte d’échappatoire. Un soi-disant citoyen subit ainsi la torture, lorsqu’on découvrit qu’il n’avait pas le droit de se prétendre tel. Ainsi Juncus protesta lors de son procès, assurant qu’il avait été sauvagement malmené en prison. Il comparut enveloppé de bandages avec de profondes entailles au visage, mais Rufrius affirma que Juncus mentait. Ces blessures, il les devait à la résistance qu’il avait opposée lors de son arrestation. Ayant sauté nu par la fenêtre d’une chambre à Brindisi il avait tenté de passer au travers d’une haie vive. Deux capitaines des gardes confirmèrent cette déclaration.
Cependant, Juncus se vengea de Rufrius. « Si je dois mourir, Rufrius, dit-il, alors nous mourrons ensemble. » Puis il se tourna vers moi. « César, ce commandant des gardes en qui tu as mis toute ta confiance, te hait et te méprise autant que moi. Paetus et moi l’avons interrogé au nom de Vinicianus ; nous voulions savoir si, à l’arrivée des troupes de Dalmatie, il ferait passer la Garde de notre côté. Il prit l’engagement de le faire, à la condition, toutefois, que Scribonianus, Vinicianus et lui partageraient l’Empire. Nie-le, Rufrius, si tu l’oses. »
Je fis arrêter Rufrius sur-le-champ. D’abord, il fit mine de prendre l’accusation de Juncus en plaisantant, mais Paetus, l’un des chevaliers rebelles qui attendait d’être jugé, confirma le témoignage de Juncus ; finalement Rufrius capitula et demanda grâce. Je lui accordai celle d’être son propre exécuteur.
Quelques femmes furent aussi exécutées. Je ne voyais pas pourquoi le sexe d’une femme devait la protéger des rigueurs de la loi, si elle avait participé à un complot contre la sûreté de l’État, en particulier une femme qui, ne s’étant pas mariée selon les rites consacrés et ayant su conserver son indépendance et ses biens, ne pouvait plaider la coercition. Elles furent menées à l’échafaud enchaînées, tout comme leurs maris, et dans l’ensemble, firent preuve de beaucoup plus de courage qu’eux devant la mort. Arria, l’épouse de Paetus, mais aussi amie intime de Messaline, et légalement mariée, aurait pu sans nul doute obtenir sa grâce si elle avait daigné en faire la requête. Mais non, elle préféra mourir avec Paetus. Celui-ci en récompense de son témoignage contre Rufrius, fut autorisé à se suicider avant qu’aucune accusation ne fût officiellement portée contre lui. C’était un lâche et il ne se décidait pas à s’éventrer sur son épée. Arria la lui arracha et se la plongea dans le corps. « Regarde, Paetus, dit-elle en mourant, cela ne fait pas mal. »
La personne de plus haute condition condamnée pour sa participation à la révolte, fut ma nièce Julie (Hélène la Gloutonne). Je ne fus pas fâché du bon prétexte qui m’était fourni de m’en débarrasser. C’était elle qui avait livré son mari, mon pauvre neveu Néron, à Séjan et l’avait fait bannir sur une île où il était mort. Tibère, par la suite, lui avait exprimé son mépris en la mariant à Blandus, un vulgaire chevalier sans naissance. Hélène était jalouse de la beauté de Messaline autant que de son pouvoir ; elle-même avait perdu sa grande beauté en raison de sa boulimie et de son indolence, et elle était devenue énorme ; cependant, Vinicianus était l’un de ces petits hommes au physique de rat auxquels les femmes opulentes inspirent la même passion qu’aux rats les plus grosses citrouilles ; et s’il était devenu empereur, comme il y comptait, se sachant plus fort que Rufrius et Scribonianus réunis, il aurait fait d’Hélène la Gloutonne son impératrice. Il la vendit lui-même à Messaline, comme marque de sa loyauté envers nous.
CHAPITRE 15
J’étais donc toujours empereur et mes espoirs d’un prompt et sûr retour à la vie privée s’étaient envolés. Je commençai à me dire qu’Auguste avait dû être sincère, lorsque dans ses discours, il faisait parfois allusion au rétablissement prochain de la République et que même mon oncle Tibère n’était pas aussi menteur que je le croyais quand il parlait
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