Claude, empereur malgré lui
capable de décourager la rébellion ? Ils en choisirent donc un qui semblait convenir.
Cinq jours plus tard, Scribonianus donnait l’ordre aux régiments de marcher vers le port, avec armes et bagages, prêts à l’embarquement immédiat pour l’Italie. Les porte-enseigne du 7e et du 11e firent savoir simultanément à leurs chefs qu’ils n’avaient pu ce matin-là parer les Aigles, comme c’était la coutume, de guirlandes de laurier. À peine liées les guirlandes étaient tombées puis elles s’étaient aussitôt fanées ! À leur tour, les porte-étendard accoururent en feignant la consternation pour relater un autre miracle : l’étendard avait refusé de s’arracher au sol dans lequel il était planté ! Les officiers trop heureux d’entendre le récit de ces sinistres présages s’empressèrent d’en faire part à Scribonianus. Celui-ci entra en fureur et se précipita dans le camp de la 11e légion. « Alors vous prétendez, menteurs, que les étendards refusent de bouger ! C’est que vous êtes tous des lâches, moins courageux que des chiens. Regardez ! Qui donc raconte qu’on ne peut pas bouger les étendards ? » Il s’avança vers la hampe la plus proche, l’empoigna et tira de toutes ses forces. Il se cramponna, s’arc-bouta, s’évertua jusqu’à faire saillir comme des cordes les veines de son front ; mais l’étendard resta rivé au sol. En vérité, il avait été en secret scellé dans du mortier le soir de la réunion, de même que tous les autres étendards, puis recouvert de terre à la base. Le mortier avait pris, il était dur comme le roc.
Scribonianus vit que tout était perdu. Il menaça les Cieux du poing et descendit vers le port en courant ; il sauta dans son embarcation personnelle et donna l’ordre à l’équipage de lever l’ancre et de gagner immédiatement le large. Il se rendait en Italie, dans l’intention, je suppose, d’avertir Vinicianus de son échec. Mais l’équipage le fit échouer sur le rivage de l’île de Lissa, près de Corfou. Les marins se doutant que son plan avait échoué préféraient ne plus rien avoir à faire avec lui. Seul un affranchi demeura auprès de lui et fut présent lorsqu’il se suicida. Vinicianus, lui aussi, se tua quand les nouvelles lui parvinrent un jour ou deux plus tard ; ainsi firent également la plupart de ses compagnons de révolte. La rébellion était terminée.
Je ne prétendrai pas ne pas avoir passé dix jours d’angoisse entre le moment où je me suis adressé au Sénat et celui où j’ai reçu l’heureuse nouvelle de l’échec de Scribonianus. Je devenais très émotif et sans les soins attentifs de Xénophon, j’aurais probablement subi une grave rechute de mes troubles nerveux. Mais il me fit prendre des médicaments, méthodiquement masser et m’encouragea, avec sa discrète ironie, à ne pas craindre pour l’avenir ; ainsi surmontai-je grâce à lui cette épreuve sans que ma santé en subit le contrecoup. Un vers d’Homère me trottait dans la tête et je le répétais à tous ceux que je rencontrais :
De toute ta puissance, résiste à celui-là,
Qui, sans provocation, te provoque au combat.
Je le donnai même un jour à Rufrius comme mot de passe. Messaline me persiflait à ce sujet, mais j’avais une réponse toute prête : « Ces mots obsédaient Homère lui aussi. Il s’en est servi à de nombreuses reprises. Une fois dans l’Iliade et deux ou trois fois dans l’Odyssée. » Le dévouement de Messaline me fut aussi d’un grand secours, de même que les protestations de loyauté des citoyens et des soldats chaque fois que je paraissais en public, et la confiance que le Sénat semblait placer en moi.
Je récompensai le 7e et le 11e régiment en demandant au Sénat de les rebaptiser les « fidèles Claudiens » et devant l’insistance de Messaline (comme elle, Vitellius ne voyait pas dans la conjoncture une occasion d’amnistie), je fis mettre à mort les principaux rebelles survivants. Cependant, je ne les fis pas exécuter sommairement, comme je l’avais fait pour Silanus, mais ils eurent droit, chacun à leur tour, à un procès en règle. J’adoptai la procédure suivante : je lisais l’acte d’accusation assis sur une chaise curule entouré par les consuls debout. Je regagnais ensuite mon siège ordinaire, tandis que les consuls se faisaient apporter leur chaise curule et menaient à leur tour les
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