Claude, empereur malgré lui
Pollion, régent provisoire de Basan.
Il regagna donc Rome, en compagnie de Cypros, et remboursa scrupuleusement tous ses créanciers ; et clama partout son intention bien arrêtée de ne jamais plus emprunter. Pendant la première année du règne de Caligula, il ne rencontra aucune difficulté méritant d’être mentionnée. Même lorsque Caligula se querella avec ma mère pour avoir assassiné Gémellus – crime dont Hérode, soyez-en sûr, ne chercha guère à le dissuader – au point, comme je l’ai relaté dans mon livre précédent, qu’elle fût acculée au suicide, Hérode était à ce point assuré de la faveur de Caligula qu’il fut un des rares amis de ma mère à porter son deuil et à suivre ses funérailles. Sa mort, je crois, l’avait profondément affecté, mais, voilà comme il s’en expliqua auprès de l’empereur :
— Je serais un misérable et un ingrat si je manquais de présenter mes respects au fantôme de ma bienfaitrice. Que tu lui aies manifesté ton déplaisir pour s’être mêlée d’une affaire qui ne la concernait pas a dû profondément affecter dame Antonia. Si j’estimais t’avoir irrité par un comportement similaire – mais bien entendu, le cas est absurde – je ne manquerais pas de l’imiter. En la pleurant, je rends hommage au courage dont elle a fait preuve en quittant un monde moderne où il n’y a plus de place pour les femmes de la vieille race comme elle.
Caligula prit assez bien cette tirade et répliqua :
— Non, Hérode, tu as bien agi. C’est moi qu’elle a provoqué, et non toi.
Mais quand le mal dont il souffrait fit sombrer sa raison, qu’il décréta sa divinité et entreprit de faire décapiter les statues des Dieux pour substituer sa propre tête à la place de la leur, Hérode commença à s’inquiéter. En tant que chef de milliers de Juifs, il prévoyait de sérieuses difficultés. Leurs signes avant-coureurs vinrent d’Alexandrie, où ses ennemis, les Grecs, pressaient le gouverneur d’Égypte d’ériger des statues de l’empereur dans les synagogues juives aussi bien que dans les temples grecs et d’imposer aux Juifs comme aux Grecs, dans leurs prestations de serment légales, l’utilisation du nom divin de Caligula. Le gouverneur d’Égypte avait été un ennemi d’Agrippine et aussi un partisan de Tibère Gémellus et il décida que la meilleure façon de prouver sa loyauté envers Caligula, c’était de faire appliquer l’édit impérial qui, en fait, n’avait visé que les Grecs. Les Juifs refusant de prêter serment sur la divinité de Caligula ou d’admettre ses statues à l’intérieur des synagogues, le gouverneur publia un décret déclarant tous les Juifs indésirables et étrangers dans la cité. Les Alexandriens exultants, déclenchèrent un pogrom contre les Juifs, chassant les plus riches des quartiers de la ville où ils vivaient dans l’opulence côte à côte avec les Grecs et les Romains vers les rues étroites et surpeuplées du « Delta ». Plus de quatre cents maisons de marchands furent mises à sac et les propriétaires assassinés ou mutilés. Les survivants furent abreuvés d’injures. Les pertes en vies humaines et les dégâts matériels étaient si élevés que les Grecs décidèrent de justifier leur action en envoyant une ambassade à Caligula à Rome, expliquant que le refus des Juifs d’adorer Sa Majesté avait à tel point indigné les citoyens grecs plus jeunes et moins disciplinés qu’ils avaient décidé de venger eux-mêmes leur empereur. Les Juifs envoyèrent du coup leur propre ambassade, conduite par le frère de l’alabarque, Philon, ce Juif de haute distinction réputé le plus grand philosophe de l’Égypte. Philon arrivé à Rome, alla naturellement voir Hérode, à qui il était maintenant apparenté par alliance ; car Hérode, après avoir remboursé à l’alabarque les fameuses huit mille pièces d’or, avec en plus un intérêt de dix pour cent sur deux ans – au grand embarras de l’alabarque, car, en tant que Juif il ne pouvait pas légalement accepter d’un autre Juif des intérêts sur un prêt – lui avait manifesté plus avant sa gratitude en accordant Bérénice, sa fille aînée, au fils aîné de l’alabarque. Philon demanda à Hérode d’intercéder pour lui auprès de Caligula, mais Hérode répondit qu’il préférait ne rien avoir à faire avec l’ambassade grecque ; si les événements prenaient une
Weitere Kostenlose Bücher