Claude, empereur malgré lui
Cypros poursuivirent leur voyage jusqu’au port de Jaffa. De Jaffa, ils gagnèrent Jérusalem pour aller rendre visite à leurs enfants et rester dans l’enceinte du Temple comme invités du Grand Prêtre, avec lequel Hérode tenait à parvenir à un accord. Il fit la meilleure impression en dédiant au Dieu juif sa chaîne qu’il accrocha au mur du Trésor du temple. Ils traversèrent ensuite la Samarie et les frontières de la Galilée – sans toutefois adresser leurs compliments à Antipas et à Hérodias – et ils parvinrent ainsi à leur nouvelle demeure de Caesarea Philippi, jolie cité construite par Philippe et dont il avait fait sa capitale sur le flanc du mont Hermon. Ils y touchèrent les revenus accumulés et mis en réserve pour eux depuis la mort de Philippe. Salomé, la veuve de Philippe, tenta de séduire Hérode et déploya pour lui ses charmes les plus captivants, mais sans succès.
— Tu es à coup sûr très belle, très gracieuse et spirituelle, lui déclara-t-il, mais souviens-toi du proverbe : « Dans ta maison nouvelle, place ton âtre ancien. » Une seule femme peut être reine de Basan, ma chère Cypros.
On imagine aisément qu’en apprenant la bonne fortune d’Hérode, Hérodias devint folle de jalousie. Elle n’était l’épouse que d’un simple tétrarque, alors que Cypros était reine. Elle essaya de provoquer chez Antipas une réaction analogue à la sienne ; mais Antipas, un vieil homme indolent, était parfaitement satisfait de son sort ; quoique tétrarque, il était riche et peu lui importait sous quel titre on le connaissait. Hérodias l’accabla de son mépris, – comment pouvait-il désormais attendre d’elle le moindre respect ?
— Penser, dit-elle, que mon frère Hérode Agrippa, qui est venu se réfugier ici il n’y a pas si longtemps sans un sou en poche, ne devant qu’à ta charité le pain même qu’il mangeait, pour ensuite nous insulter grossièrement et s’enfuir en Syrie, être chassé de Syrie pour corruption, presque arrêté à Anthédon pour dettes, gagner alors Rome et y être jeté en prison pour trahison envers l’Empereur, penser qu’un homme avec un tel arriéré qui jette l’argent par les fenêtres sème en tous lieux les dettes, soit maintenant un roi et en position de nous insulter ! Ce n’est pas supportable ! Je veux que tu te rendes à Rome immédiatement et que tu forces le nouvel Empereur à t’accorder des honneurs au moins égaux à ceux d’Hérode.
— Ma chère Hérodias, répondit Antipas, tes propos manquent de sagesse. Nous sommes parfaitement à l’aise ici, tu le sais, et si nous tentions d’améliorer notre situation, peut-être cela nous porterait-il malheur. Rome n’a jamais été un lieu sûr où séjourner depuis la mort d’Auguste.
— Je ne te parlerai pas et ne coucherai plus avec toi, dit Hérodias, tant que tu ne m’auras pas donné ta parole d’y aller.
Hérode avait eu vent de ces scènes de ménage par un de ses agents à la cour d’Antipas ; et lorsque, ce dernier peu après, se mit en route pour Rome, il envoya une lettre à Caligula par vaisseau rapide, offrant au capitaine une très forte récompense s’il atteignait Rome avant Antipas. Le capitaine hissa autant de voiles qu’il osa et réussit de justesse à gagner la somme promise. Lorsque Antipas se présenta devant Caligula, celui-ci avait déjà en main la lettre d’Hérode. Elle expliquait qu’Hérode durant son séjour à Jérusalem avait entendu porter de graves accusations contre son oncle Hérode Antipas, auxquelles il avait refusé d’ajouter foi pour commencer, mais qui, après enquête, s’étaient révélées fondées. Non seulement son oncle avait entretenu une correspondance criminelle avec Séjan à l’époque où Séjan et Livilla complotaient d’usurper la monarchie – c’était une vieille histoire – mais il avait récemment échangé des lettres avec le roi de Parthie, projetant avec son aide d’organiser un vaste soulèvement contre Rome dans tout le Proche-Orient. Le roi de Parthie envisageait de lui donner Samarie, la Judée et Basan le propre royaume d’Hérode pour le récompenser de sa déloyauté. À l’appui de cette accusation, Hérode signalait qu’Antipas possédait soixante-dix mille armures complètes dans l’arsenal de son palais. Que signifiaient autrement ces préparatifs secrets de guerre ? L’armée permanente de son oncle ne comportait
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