Claude, empereur malgré lui
que quelques centaines d’hommes, une simple garde d’honneur. Les armures n’étaient certainement pas destinées à équiper des soldats romains.
Hérode était un homme très retors. Il savait fort bien qu’Antipas ne nourrissait aucune intention guerrière et que seul son goût de la parade l’avait poussé à se constituer un tel dépôt d’armement. Les revenus provenant de la Galilée et de Giléad étaient élevés, et Antipas, quoique chiche dans son hospitalité, aimait à dépenser de l’argent pour des objets coûteux ; il collectionnait les armures comme les riches Romains collectionnent statues, tableaux et meubles en marqueterie. Mais Hérode savait que cette explication ne viendrait pas à l’esprit de Caligula, à qui il avait souvent parlé de l’avarice d’Antipas. Ainsi donc quand Antipas se présenta au palais et salua Caligula, le félicitant de son accession au trône, Caligula l’accueillit avec froideur et demanda aussitôt :
— Est-il vrai, tétrarque, que tu possèdes soixante-dix mille armures complètes dans l’arsenal de ton palais ?
Antipas, surpris, ne put nier ; car Hérode avait pris soin de ne pas exagérer. Il marmonna vaguement que les armures étaient destinées à son plaisir personnel.
— L’audience est déjà terminée, dit Caligula. Ne cherche pas de mauvaises excuses. Je réfléchirai à ce que je dois faire de toi demain.
Antipas dut se retirer, consterné et anxieux.
Ce soir-là, Caligula me demanda au cours du dîner :
— Où donc es-tu né, oncle Claude ?
— À Lyon, répondis-je.
— Un lieu assez malsain, n’est-ce pas ? s’enquit Caligula, en faisant tourner entre ses doigts une coupe de vin en or.
— Oui, répondis-je. Réputé pour être l’un des plus malsains de tes colonies. C’est selon moi le climat de Lyon qui m’a condamné, alors que j’étais encore au berceau, à ma vie actuelle, inutile et inactive.
— Oui, je pensais bien t’avoir déjà entendu tenir ces propos, reprit Caligula. Nous allons y envoyer Antipas. Le changement de climat lui fera du bien. Il y a trop de soleil en Galilée pour un homme d’humeur aussi batailleuse.
Le lendemain, Caligula annonça à Antipas qu’il devait se considérer comme dégradé de son rang de tétrarque, et qu’un vaisseau l’attendait à Ostie pour l’emmener en exil à Lyon. Antipas prit la chose avec philosophie – l’exil valait mieux que la mort – et il faut lui rendre cette justice que jamais, à ma connaissance, il n’adressa le moindre reproche à Hérodias qui l’avait suivi dans sa disgrâce. Caligula écrivit à Hérode pour le remercier de l’avoir prévenu à temps et lui octroyer en reconnaissance la tétrarchie et les revenus d’Antipas. Mais sachant qu’Hérodias était la sœur d’Hérode, il lui déclara que par égard pour son frère, il l’autoriserait à conserver tous ses biens personnels et à rentrer en Galilée, si elle le désirait, pour vivre sous sa protection. Hérodias trop fière pour accepter répondit à Caligula qu’Antipas l’avait toujours fort bien traitée et qu’elle n’entendait pas l’abandonner maintenant qu’il était dans le malheur. Elle se lança dans un grand discours destiné à attendrir le cœur de Caligula, mais il y coupa court. Hérodias et Antipas, dès le lendemain, s’embarquèrent pour Lyon. Ils ne revinrent jamais en Palestine.
Hérode trouva des termes d’une reconnaissance éperdue pour remercier Caligula de ses largesses. L’empereur me montra la lettre. « Mais quel homme ! avait écrit Hérode. Soixante-dix mille armures complètes, et toutes pour son plaisir personnel ! Deux par jour pendant près de cent ans ! Il semble presque dommage de condamner un tel homme à pourrir à Lyon. Tu devrais l’envoyer envahir à lui tout seul la Germanie. Ton père a toujours affirmé que la seule façon de traiter les Germains, c’était de les exterminer, et tu as là un parfait exterminateur à ton service, si avide de combats qu’il se constitue un stock de soixante-dix mille armures complètes, toutes faites sur mesure. » Cette boutade nous fit beaucoup rire. Hérode terminait en disant qu’il lui fallait revenir à Rome sans délai afin de pouvoir remercier Caligula de vive voix. Il nommerait provisoirement son frère Aristobule régent de Galilée et de Giléad, sous l’attentive surveillance de Silas, et son plus jeune frère, Hérode
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