Claude, empereur malgré lui
s’employa à le piétiner pour le réduire en miettes. Cette scène édifiante fut interrompue par l’entrée de Cassius Chéréas. Il était accompagné d’Aquila, le « Tigre », de deux autres officiers des gardes qui avaient été parmi les assassins et de Lupus. En entrant au Sénat, Cassius n’accorda pas un seul regard aux bancs surpeuplés de sénateurs et de chevaliers qui l’acclamaient, mais marcha droit sur les deux consuls qu’il salua.
— Quel est le mot de passe aujourd’hui ? demanda-t-il.
Les sénateurs, exultants, eurent l’impression de vivre le plus grand moment de leur existence. Sous la République, les consuls avaient partagé le commandement suprême des troupes, sauf en cas de nomination d’un dictateur qui avait la préséance sur eux ; mais cela faisait maintenant plus de quatre-vingts ans qu’ils n’avaient pas donné le mot de passe de la journée. Le premier consul, encore un représentant de la race des bichons, répondit en se rengorgeant :
— Le mot de passe, colonel, c’est liberté !
Il fallut bien dix bonnes minutes pour que les acclamations s’étant suffisamment calmées, l’on perçut à nouveau la voix du consul. Il se leva alors, quelque peu agité, pour annoncer que les messagers qui m’avaient été envoyés au nom du Sénat étaient revenus ; ils annonçaient que je m’étais déclaré dans l’impossibilité de répondre à leur convocation, expliquant qu’on m’emmenait contre mon gré au camp des gardes. Cette nouvelle sema la consternation et la confusion sur les bancs, et un débat désordonné s’ensuivit, qui se conclut par une intervention de mon ami Vitellius, suggérant qu’on allât chercher le roi Hérode Agrippa ; Hérode, étranger au débat mais au fait de toutes les fluctuations politiques à Rome et jouissant d’une grande réputation aussi bien en Orient qu’en Occident, pourrait peut - être leur donner un conseil pertinent. Quelqu’un appuya Vitellius, en faisant remarquer qu’Hérode était connu pour avoir une forte influence sur moi, qu’il était respecté par les gardes impériaux et qu’en même temps il avait toujours été bien disposé envers le Sénat, au sein duquel il comptait de nombreux amis personnels. Un messager fut donc dépêché à Hérode pour le prier de venir le plus rapidement possible. Hérode s’était arrangé, selon moi, pour recevoir cette invitation, mais je ne saurais l’affirmer. En tout cas, il se garda bien de manifester trop d’empressement ou de réticence à s’y rendre. De sa chambre à coucher, il envoya un serviteur dire au messager qu’il serait prêt dans quelques minutes, mais qu’il fallait pour l’instant l’excuser, car il était en tenue négligée. Cependant, il descendit bientôt, fleurant fortement un étrange parfum oriental appelé patchouli, qui lui valait toujours les mêmes épigrammes au palais ; ce parfum avait, disait-on, sur Cypros un effet irrésistible. Caligula, chaque fois qu’il le sentait sur Hérode, avait l’habitude de renifler bruyamment et de dire : « Hérode, vieux luxurieux ! En voilà une façon d’afficher tes secrets d’alcôve ! » Hérode, n’est-ce pas, n’avait nulle envie que l’on sache qu’il s’était attardé si longtemps sur le mont Palatin, sinon l’on aurait pu le soupçonner d’avoir déjà pris parti. Il avait, en vérité, quitté le palais déguisé en serviteur, se mêlant à la foule amassée sur la place du Marché et il venait à peine de rentrer chez lui lorsque le message lui parvint. Il avait usé du parfum comme alibi, et, semble-t-il, avec succès. Dès son arrivée au temple, les consuls lui exposèrent la situation et il fit mine d’apprendre avec surprise ma nomination pour protester ensuite longuement de son absolue neutralité dans les affaires politiques de la cité. Il n’était rien de plus qu’un roi allié et le fidèle ami de Rome, et il le demeurerait, avec leur permission, quel que fût son gouvernement.
— Néanmoins, ajouta-t-il, puisque vous semblez solliciter mon avis, je suis prêt à parler en toute franchise. La République m’apparaît en certaines circonstances comme une forme parfaitement respectable de gouvernement ? J’en dirais autant d’une monarchie bienveillante. Personne ne peut, à mon avis, porter de jugement trop tranché et affirmer qu’une forme de gouvernement soit foncièrement supérieure à une autre.
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