Claude, empereur malgré lui
Chaque régime convient mieux à tel ou tel peuple selon son tempérament, la compétence du ou des chefs qui le gouvernent, l’étendue de l’État et ainsi de suite. Une seule règle générale peut être établie, la voici : Aucun être sensé ne donnerait ça (et il souligna le mot d’un claquement de doigts méprisant) pour n’importe quel gouvernement, fût-il démocratique, ploutocratique, aristocratique ou autocratique s’il ne peut compter sur le loyal soutien des forces armées de l’État qu’il est censé administrer. Ainsi donc, mes Seigneurs, avant de pouvoir vous donner le moindre conseil pratique, je dois vous poser une question : Avez-vous l’Armée derrière vous ?
Ce fut Vinicius qui se leva d’un bond pour lui répondre.
— Roi Hérode, s’écria-t-il, les bataillons de la garnison sont loyaux jusqu’au dernier homme. Tu peux voir ici parmi nous ce soir leurs trois colonels. Nous disposons également de vastes stocks d’armes et de vastes quantités d’argent avec lesquelles payer les troupes supplétives que nous pourrions être appelés à réunir. Nous sommes nombreux ici à pouvoir mobiliser une double compagnie de soldats recrutés parmi nos propres esclaves et nous leur accorderions volontiers leur liberté s’ils se montraient résolus à se battre pour la République.
Hérode se couvrit ostensiblement la bouche en sorte que chacun put voir qu’il s’efforçait de ne pas rire.
— Seigneur Vinicius mon ami, dit-il, si j’ai un conseil à te donner, n’essaie même pas ! Quelle figure feraient d’après toi tes portiers, tes boulangers et tes garçons de bain contre les gardes, les meilleurs soldats de l’Empire ? Je mentionne les gardes, car s’ils avaient été de ton côté, tu me l’aurais certainement signalé. Si tu crois pouvoir transformer un esclave en soldat en le ceignant d’une cuirasse, en lui mettant une lance à la main, en lui fixant à la taille un ceinturon et en lui disant :
« Maintenant, combats mon garçon ! » – alors, je le répète, n’essaie même pas ! (Puis s’adressant à l’ensemble du Sénat :) Seigneurs, reprit-il, vous me dites que les gardes ont acclamé comme empereur mon ami Tibère Claude Drusus Néron Germanicus, l’ancien consul, mais sans avoir auparavant demandé votre consentement. Et je crois comprendre que les gardes ont montré quelque réticence à le laisser venir se présenter ici. Mais je crois aussi comprendre que le message qui lui fut envoyé n’émanait pas de vous en tant que corps constitué, mais d’un comité officieux de deux ou trois sénateurs ; et qu’un petit groupe seulement de soldats exaltés – parmi eux aucun officier – se trouvait aux côtés de Tibère Claude quand il fut transmis. Si une autre délégation lui était maintenant envoyée, nantie de l’autorité voulue, les officiers du camp des gardes lui conseilleraient peut-être de la traiter avec le respect qu’elle mérite et sauraient tempérer cet esprit turbulent que manifestent les hommes placés sous leur commandement. Je suggère d’envoyer à nouveau les deux mêmes protecteurs du peuple, et je suis prêt, si vous le désirez, à les accompagner et à ajouter ma voix à la leur, de façon purement désintéressée, bien entendu. Je crois avoir assez d’influence sur mon ami Tibère Claude, que je connais depuis l’enfance – nous avons étudié ensemble sous la tutelle du même vénérable précepteur – et suffisamment de crédit auprès des officiers du camp – je suis souvent invité à la table de leur mess – et en tout cas, mes Seigneurs, laissez-moi vous l’affirmer, j’attache suffisamment d’importance à la bonne opinion que vous avez de moi, pour être en mesure de régler le problème à la satisfaction de chacune des parties concernées.
Ainsi donc vers quatre heures cet après-midi-là, alors que je déjeunais tardivement au mess des colonels, dans le camp des gardes, chacun de mes gestes observé en silence, avec attention et respect par mes compagnons, un capitaine vint annoncer qu’une délégation était envoyée par le Sénat et que le roi Hérode Agrippa, qui venait d’arriver, désirait tout d’abord me parler en privé.
— Fais entrer ici le roi Hérode, dis-je au premier colonel. C’est notre ami.
Un instant plus tard, Hérode fit son apparition. Il salua chaque officier par son nom, frappa sur l’épaule d’un ou deux
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