Claude, empereur malgré lui
s’élevèrent : « Dégagez, entendez-vous ? Allez dire au Sénat qu’il se mêle de ses affaires et nous nous mêlerons des nôtres ! » « Nous ne laisserons pas assassiner notre nouvel empereur lui aussi ! » Je me penchai à la fenêtre de ma litière et déclarai :
— Je vous prie de transmettre mes respectueux compliments au Sénat et de l’informer que, pour le moment, je ne suis pas en mesure de satisfaire à sa gracieuse requête. Une invitation plus pressante m’attend. Sergents, caporaux et soldats de la Garde du palais me conduisent à leur camp où ils m’ont offert l’hospitalité. Ce serait au péril de ma vie que j’insulterais ces dévoués soldats.
Et nous voilà repartis. « Quel facétieux, notre nouvel empereur ! » rugirent-ils.
Parvenu au camp, j’y fus accueilli avec un enthousiasme plus délirant que jamais. La division des gardes, outre un détachement de cavalerie, comprenait près de douze mille fantassins. Ce n’était plus seulement les caporaux et les sergents maintenant qui m’acclamaient empereur, mais également les capitaines et les colonels. Je m’efforçai de les décourager de mon mieux tout en les remerciant de leur bonne volonté. Je déclarai que je ne pouvais accepter de devenir leur empereur avant d’avoir été désigné par le Sénat, auquel incombait l’élection. Conduit au quartier général, j’y fus traité avec une déférence à laquelle je n’étais pas habitué, mais me retrouvai quasiment prisonnier.
Quant aux assassins, une fois assurés de la mort de Caligula et après avoir échappé aux Germains qui les poursuivaient, ainsi qu’aux porteurs et aux gardes de Caligula accourus à leur tour en poussant des cris de vengeance, ils s’étaient aussitôt précipités à la maison de Vinicius, non loin de la place du Marché. Là les attendaient les colonels des trois bataillons de la cité, les seules troupes régulières séjournant à Rome en dehors des veilleurs et des gardes impériaux. Ces colonels, sans prendre une part active à la conspiration, avaient promis de mettre leurs troupes à la disposition du Sénat dès que Caligula serait mort et la République restaurée. Cassius voulait notre mort immédiate à Césonie et à moi-même ; nous étions trop étroitement apparentés à Caligula pour être autorisés à lui survivre. Un colonel nommé Lupus se porta volontaire pour cette mission ; c’était le beau-frère du chef des gardes. Il se rendit au palais et, s’avançant l’épée nue à la main à travers les pièces désertées, il parvint à la chambre à coucher impériale où gisait le corps de Caligula, ensanglanté et terrifiant, tel qu’Hérode l’avait laissé. Césonie assise sur le lit tenait la tête du mort sur ses genoux et la petite Drusilla, l’unique enfant de Caligula, était à ses pieds. Quand Lupus entra, Césonie se lamentait, penchée sur le cadavre : « Époux, mon époux, que n’as-tu écouté mes conseils. »
Voyant l’épée brandie de Lupus, elle leva vers lui un visage anxieux et se sut condamnée. Alors elle tendit le cou.
— Frappe net, dit-elle. Et sois moins maladroit que les autres assassins.
Césonie était une femme courageuse. Lupus abattit son épée et la tête tomba. Il se saisit alors de l’enfant qui se ruait sur lui pour le mordre et le griffer. L’empoignant par les pieds, il lui fracassa la tête contre un pilier de marbre. Il est toujours déplaisant d’apprendre le meurtre d’un enfant ; mais le lecteur doit me croire sur parole quand je lui affirme que s’il avait connu Drusilla, la petite chérie de son père, il aurait rêvé sans doute de lui faire subir exactement le sort que lui réserva Lupus.
On a beaucoup argumenté depuis sur la signification des paroles prononcées par Césonie devant le cadavre et qui sont pour le moins ambiguës.
Elle voulait dire, selon certains, que Caligula aurait dû l’écouter lorsqu’elle lui conseillait de supprimer Cassius dont elle soupçonnait les projets, avant qu’il n’ait eu le temps de les mettre à exécution. Les tenants de cette explication sont ceux-là mêmes qui rendent Césonie responsable de la folie de Caligula qu’elle avait provoquée en lui donnant le philtre d’amour qui le mettait sous sa coupe. D’autres sont persuadés, et je suis d’accord avec eux, qu’elle faisait allusion au conseil qu’elle lui avait donné d’adoucir ce qu’il se
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