Claude, empereur malgré lui
plaisait à appeler sa « rigueur inflexible » et de se conduire davantage comme un simple mortel doué de raison.
Lupus se mit ensuite à ma recherche pour achever sa mission. Mais déjà retentissaient les cris « Vive l’empereur Claude ! ». Il s’immobilisa sur le seuil de la vaste salle où se tenait la réunion ; et constatant à quel point j’étais déjà populaire, il perdit courage et s’éclipsa sans bruit.
Sur la place du Marché, la foule en effervescence ne savait trop si elle devait s’époumoner en l’honneur des assassins ou clamer sa douleur et crier vengeance. Le bruit courut que Caligula n’avait pas été assassiné, que toute cette affaire n’était qu’une vaste mystification montée par lui, et qu’il attendait simplement de voir la foule se réjouir de sa mort pour déclencher un massacre général. Tel était, disait-on, le sens de la déclaration dans laquelle il avait promis d’offrir au peuple ce soir-là un spectacle entièrement nouveau, qui devait s’appeler Mort, destruction et mystères de l’Enfer. La prudence l’emportant, la foule en veine de loyauté commençait à pousser de grands cris : « Trouvons les assassins ! Vengeons la mort de notre glorieux César ! » lorsque Asiaticus, un ancien consul, homme d’imposante figure qui avait joui de toute la confiance de Caligula, monta sur l’estrade des Orateurs et s’écria :
— Vous cherchez les assassins ? Moi aussi. Et pour les féliciter. Je regrette seulement de ne pas avoir frappé moi-même. Caligula était une créature abjecte et ils ont noblement agi en le tuant. Romains, ne soyez pas stupides. Vous haïssiez tous Caligula et maintenant qu’il a cessé d’exister, vous allez pouvoir respirer librement de nouveau. Rentrez chez vous et célébrez sa mort en buvant du vin et en chantant !
Trois ou quatre compagnies de la garnison étaient alignées à proximité et Asiaticus s’adressa à eux :
— Soldats, nous comptons sur vous pour maintenir la paix. Le Sénat est souverain une fois de plus. Nous sommes de nouveau une République. Obéissez aux ordres du Sénat et je vous donne ma parole que chacun d’entre vous sera considérablement plus riche quand la situation sera redevenue normale. Il ne doit se produire ni pillages ni émeutes. Toute atteinte contre la vie ou la propriété des citoyens sera punie de mort.
Le peuple changea donc immédiatement de chanson et se mit à acclamer les assassins, le Sénat et Asiaticus lui-même.
De la maison de Vinicius, ceux des conspirateurs qui appartenaient au Sénat s’apprêtaient à se rendre en séance, les consuls ayant hâtivement convoqué une assemblée, lorsque Lupus arriva en courant du Palatin pour annoncer que les gardes m’avaient proclamé empereur et me conduisaient à leur camp. Ils chargèrent donc deux protecteurs du peuple, hissés sur des chevaux de cavalerie de m’intercepter, et de me remettre un message menaçant. Ce message devait à mes yeux émaner du Sénat réuni en session ; j’ai déjà raconté comment la menace resta pratiquement sans effet. Les autres conspirateurs, les officiers des gardes, commandés par Cassius, s’emparèrent alors de la citadelle sur le Capitole, et en confièrent la défense à l’un des bataillons de la garnison.
Je regrette de n’avoir pas été témoin de cette réunion historique du Sénat, à laquelle se pressèrent non seulement tous les sénateurs mais un grand nombre de chevaliers et d’autres notables qui n’avaient rien à faire dans ces lieux. Aussitôt parvenue la nouvelle de la prise de la citadelle, tous quittèrent le Sénat pour gagner le temple de Jupiter, à proximité, où ils se jugeaient plus en sûreté. Mais ils se donnèrent pour excuse que le Sénat officiellement désigné sous le nom de la « maison des Julia » ne pouvait servir de lieu de réunion à des hommes libres quand il était dédié à une dynastie à la tyrannie de laquelle il venait enfin d’échapper. Dès qu’ils furent confortablement installés dans leurs nouveaux locaux, tout le monde se mit à parler à la fois. Certains sénateurs s’écrièrent que le souvenir des Césars devait être à jamais effacé, leurs statues brisées et leurs temples détruits. Mais les consuls se levèrent pour plaider en faveur de l’ordre. « Une chose à la fois, mes Seigneurs, dirent-ils. Une chose à la fois. » Et ils prièrent un sénateur
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