Claude, empereur malgré lui
se pressèrent autour des deux protecteurs avec des regards et des murmures si menaçants qu’ils se hâtèrent d’expliquer qu’ils se contentaient de transmettre les directives du Sénat et tinrent à m’assurer que j’étais, d’après eux, la seule personne apte à régner sur l’Empire. Ils nous supplièrent de nous rappeler qu’au double titre d’envoyés du Sénat et de protecteurs du peuple, ils bénéficiaient d’une immunité absolue puis ils déclarèrent :
— Les consuls, en privé, nous ont remis un second message à te communiquer au cas où le premier te déplairait.
Intrigué, je les priai de s’expliquer.
— César, répondirent-ils, nous avons reçu l’ordre de te dire que si tu voulais vraiment la monarchie, tu devais l’accepter comme le don du Sénat et non celui des gardes.
Je ne pus m’empêcher de m’esclaffer – c’était la première fois que je riais sans réserve depuis l’assassinat de Caligula.
— Est-ce là tout, demandai-je, ou bien y a-t-il un troisième message au cas où je n’apprécierais pas le second ?
— Non, il n’y en a pas d’autre, César, répondirent-ils humblement.
— Eh bien, repris-je, toujours amusé, allez dire aux sénateurs que je ne peux leur reprocher de ne pas vouloir un autre empereur. Le dernier manquait certes du don de se faire aimer de son peuple. Mais par ailleurs, les gardes impériaux insistent pour faire de moi un empereur, et les officiers m’ont déjà prêté serment d’allégeance et m’ont forcé à l’accepter, alors que puis-je faire ? Vous pouvez aller transmettre aux membres du Sénat mes respectueux compliments et les assurer que je me garderai de tout acte anticonstitutionnel (à ce point, je lançai un bref regard de défi à Hérode) et qu’ils peuvent compter sur moi pour ne pas les décevoir. Je reconnais leur autorité, mais en même temps je dois leur rappeler que je ne suis pas en position de m’opposer aux vœux de mes conseillers militaires.
Les protecteurs furent donc renvoyés, heureux de s’en tirer vivants.
— C’était très bien, dit Hérode, mais tu aurais mieux fait de leur parler avec fermeté, comme je l’avais suggéré. Tu ne fais que gagner du temps.
Après le départ d’Hérode, les colonels m’annoncèrent qu’ils comptaient sur moi pour verser cent cinquante pièces d’or à chacun des gardes pour célébrer mon accession au pouvoir et cinq cents pièces d’or à chaque capitaine. Quant à ma gratification aux colonels, ils s’en remettaient à mon bon vouloir.
— Seriez-vous satisfaits avec dix mille par tête ? plaisantai-je.
Nous tombâmes d’accord pour deux mille et ils me demandèrent ensuite de nommer l’un d’entre eux pour remplacer le commandant de Caligula, qui avait participé à la conspiration et n’assistait pas apparemment à la réunion du Sénat.
— Choisissez qui vous voulez, répondis-je avec indifférence.
Ils choisirent donc le premier colonel, qui s’appelait Rufrius Pollius. Je dus ensuite apparaître sur l’estrade du tribunal pour annoncer qu’une prime serait versée à chaque soldat, et recevoir les serments d’allégeance de chaque compagnie à tour de rôle. Je devais également annoncer que la même prime serait accordée aux régiments stationnés sur le Rhin, dans les Balkans, en Syrie, en Afrique et dans toutes les autres parties de l’Empire. J’étais d’ailleurs tout disposé à respecter ces engagements car je savais que des arriérés de soldes étaient dus partout, sauf parmi les troupes du Rhin, que Caligula avait payées avec l’argent volé aux Français. Le serment d’allégeance prit des heures, car chaque homme devait répéter la formule, et ils étaient douze mille ; les veilleurs de la cité arrivèrent ensuite dans le camp et insistèrent pour prêter serment eux aussi, puis les matelots de la Marine impériale venus en foule d’Ostie. La cérémonie semblait ne devoir jamais finir.
Quand le Sénat reçut mon message, la séance fut ajournée jusqu’à minuit. La motion pour l’ajournement fut déposée par Sentius, appuyée par le sénateur qui lui avait arraché l’anneau du doigt. Dès qu’elle eut été votée, ils partirent précipitamment et rentrèrent chez eux emballer quelques affaires pour quitter aussitôt la ville et se réfugier dans leurs propriétés à la campagne ; ils avaient clairement conscience de l’insécurité de leur position.
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