Clopin-clopant
à mes yeux, le fumeur n’est pas beau à voir. Mais,
à tout prendre, je préfère aux fausses élégances les allures franchement
vulgaires, clope au bec, lippe pendante, œil larmoyant ou cigarette coincée
entre le pouce et l’index, cachée dans le cône de la main à la manière des
écoliers et des taulards.
C’est dire que le fumeur, surtout la fumeuse, doit déployer
des trésors de séduction pour faire oublier son handicap rédhibitoire, une
détermination de martyr pour faire valoir ses droits dans un contexte pourtant
démocratique dont le propre est théoriquement de défendre aussi l’existence des
petites minorités, fussent-elles gênantes.
À l’horizontale
Seule au lit, la fumeuse peut être à son avantage en
nuisette ou en pyjama de soie, généreusement ajourés de brûlures. Ayant
démaquillé son visage boucané, décapé ses dents grisâtres, brossé ses cheveux
ternes, elle s’alanguit sur ses oreillers et fume la dernière cigarette de la
journée. Elle plonge doucement dans le sommeil en se racontant des histoires de
vent dans les peupliers, d’eau gargouillant sur les margelles, de feu crépitant
dans l’âtre. De feu pétillant dans l’âtre. De feu… Elle se réveille en sursaut,
persuadée de s’être endormie avec sa Gauloise. Mais non : pure hantise du
fumeur qui sentira toujours un fantôme de cigarette entre son index et son
majeur. Elle se rendort, s’enfonce dans son oreiller moelleux, douillet, et se
laisse bercer par le menu bruit des rêves : ça sifflote, pépie, gloussote.
Mais bientôt ça ronfle, râle, feule. Agacée, elle se retourne, se rendort, mais
ça reprend de plus belle. Elle réembraye sur le bucolique, mais des créatures
couinent, grésillent, gémissent, chuintent. Si ça n’est pas un cauchemar, ça s’en
rapproche. Elle ouvre les yeux, mais la petite polyphonie aléatoire ne s’arrête
pas pour autant. C’est sa propre respiration.
Elle allume la lumière, se lève, tousse un bon coup. Dès
lors, bien réveillée, elle se cale sur ses oreillers, allume une cigarette et
bouquine une bonne heure sans émettre le moindre zinzinulement. Puis elle
éteint. Tous les bruits parasites ont disparu. Quelle merveille de dormir quand
on a sommeil. De dormir avec son chat dans la gorge. Et toute une ribambelle de
minuscules chatons. Très envahissants. Diable, combien de petits par portée ?
Dans son rêve, elle en expulse une bonne centaine. Est-ce bien naturel ? Rien
n’est moins sûr. D’ailleurs, le dernier ne passe pas. Poussez, madame. Respirez.
Du calme, madame, respirez, respirez. Poussez. Ça y est, je tiens le petit bout
de la queue du chat qui vous électrise.
La fumeuse se réveille dans une quinte de toux épouvantable.
Du calme, ma fille, debout, respire, respire. Tousse. Respire. Mais respire, bon
Dieu.
La fumeuse va boire un verre d’eau. Bassine ses yeux
exorbités. Et, les deux mains sur le bord du lavabo, exécute les quelques
gestes de kiné respiratoire qu’on lui a appris. « Vous faites le petit
chien. Vous sentez la toux qui monte. Crachez. » Pouah.
Entre ses petits chats, ses chiens, la fumeuse sait ce qui
lui reste à faire : dormir assise, soutenue par ses oreillers. Comme les
rois. Ni plus ni moins.
La fumeuse ne manque pas d’air.
Cinoche
Le fumeur n’est glamour qu’au cinéma et c’est bien pourquoi
les ligues antitabac bataillent pour en évacuer la cigarette. Si elles
parviennent à la censurer sur les écrans, petits et grands, ça nuira évidemment
un peu à la crédibilité de certaines scènes de bistrot, sortie de travail (Ah ! Lundi matin de Iosseliani !), etc.
Surtout, la logique voudrait que les censeurs n’autorisent
plus que la reprise et la retransmission des péplums et autres scénarios d’avant
Nicot. Pour les nouveaux films, un compromis qui ménagerait le sens du ridicule
consisterait à ce que seuls les vrais méchants fumassent. Ce qui d’ailleurs
épargnerait aux acteurs quelques stéréotypes expressionnistes du genre œil
torve, sourire perfide. Le jeu gagnerait en finesse. Pour signifier sa
déchéance, l’héroïne se mettrait à fumer ; pour souligner sa rédemption, le
voyou laisserait choir sa cigarette dans son demi.
Le cinéma, comme tout art, reposant sur un ensemble de codes
(et sur leur transgression) où tout est signifiant, ce ne serait qu’un élément
de plus qui permettrait à chacun de jouer les pythies (longtemps, je n’eus pas
ma pareille pour
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