Clopin-clopant
prévoir les grands moments en me fiant à la seule musique de
film).
J’exerce moins ce pouvoir divinatoire car je ne vais presque
plus au cinéma. Quel que soit le film, désormais je sors en pleurs. Là où
certains ont l’œil embué, je verse des torrents de larmes. J’ai incriminé l’âge
avant de me souvenir qu’adolescente je bouillonnais tant au cinéma que personne
ne voulait m’y accompagner. Pourtant, un jour, je constatai que je n’étais
nullement lacrymale en regardant un film à la télévision. Un doute m’effleura :
le fait de pouvoir fumer entrait-il en ligne de compte ? Il entrait.
Et ma tendance à vitupérer les vingt minutes de trop qu’on trouve
à presque tous les films s’est transformée en fureur depuis qu’on ne peut plus
fumer au cinéma. Car avant, aussi incroyable que ça puisse paraître, on pouvait
fumer dans les salles, notamment au balcon.
Voir Autant en emporte le vent en pleurant et fumant,
Dieu, que c’était bon !
Lucky Luke sans Lucky Strike
Si on ne bricole pas encore les films pour les rendre
non-fumeurs, il n’en est pas de même des photos. Certes, la falsification de l’histoire,
rituelle ou sordide, relève d’une longue tradition : les pharaons déjà
martelaient l’effigie et le nom de leurs devanciers sur les temples ; les
staliniens caviardaient leurs adversaires sur les photos officielles.
Forts de ces références, sous le noble motif de la santé
publique, les hygiénistes privèrent Malraux de sa cigarette sur le timbre gravé
d’après la célèbre photo de Gisèle Freund, Piaget de sa pipe sur une affiche
invitant à un colloque universitaire sur son œuvre, Gainsbourg de son éternelle
Gitane sur la couverture d’un hebdomadaire télé. Mais c’est de son plein gré
que le dessinateur Morris remplaça la cigarette de Lucky Luke par un brin d’herbe.
Ainsi tout concourt à faire croire que les grands hommes, les héros, réels ou
imaginaires, n’auraient su fumer ailleurs qu’aux cabinets.
On va si loin dans l’absurde que certains magazines féminins
ont signé en 2001 une charte appelée « pages sans fumée » selon
laquelle ils s’engagent à ne jamais produire de documents où les gens fument, ni
à « faire référence aux plaisirs de la cigarette ». Espérons que tous
ne s’aligneront pas sur ces positions car ce serait rayer de l’univers
historique et culturel Churchill, Groucho Marx, Camus, Hitchcock, Dietrich, Prévert,
Bogart, Guevara, Monsieur Hulot, Guilloux, le capitaine Haddock, Pompidou et
jusqu’à la caricature du capitaliste avec son gros cigare.
Dans cette atmosphère de prohibition avérée et possible, un
document m’a pourtant rassurée en janvier 2002, au lendemain de l’arrestation
du terroriste qui s’était vu dissuadé par une hôtesse de l’air de faire sauter
un avion en allumant le lacet-détonateur de sa chaussure explosive fourrée de
triacétone triperoxyde. À la une des journaux s’étalait la photo de l’héroïne
en train de fumer, à peine descendue la passerelle. Le sel de l’histoire, c’est
qu’elle avait évité le désastre en faisant innocemment observer au passager en
question qu’il s’agissait d’un vol non-fumeurs.
À ceux qui prétendraient que l’avion a été sauvé par les
lois antitabac, je rétorquerai que, bien au contraire, seule une fumeuse était
encore en mesure de savoir qu’on ne fume pas avec ses pieds.
Les amours d’une blonde
« Tu fumes après l’amour. – Je n’ai jamais remarqué. »
Par sa concision et sa pseudo-innocence, cette blague à tabac m’enchante.
C’est que la cigarette n’est directement associée au sexe
que dans une activité qui hésite entre la cuistrerie et la trivialité, à savoir
entre fellation et taillage de pipe : « Fume, c’est du belge. »
Quant aux autres aspects de l’activité amoureuse, faire des
galipettes cigarette au bec risque de nuire à la santé du partenaire. Mieux
vaut fumer avant et après que pendant, même si quelques spectacles
pornographiques montrent des dames en train de fumer avec leur deuxième bouche.
Ce numéro de professionnelle n’est pas à la portée de tout le monde. Les
hygiénistes, pour une fois, se réjouiront qu’un écran de fumée serve de
cache-sexe.
La cigarette fut longtemps un attribut incontestable de la
petite vertu. Les horizontales, quand elles faisaient le pied de grue, à la
verticale donc, fumaient volontiers entre deux passes et c’est
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