Clopin-clopant
moduler, de planer dans les aigus, ce
que mes cordes vocales ne m’autorisent plus (avant les méfaits du tabac et l’outrage
des ans, j’ai perdu une partie de ma voix en faisant, préadolescente, un
honteux couac en chantant devant la maréchale de Lattre de Tassigny – laquelle
entonnait comme personne « La Madelon », juchée sur l’entablement du
poêle alsacien de la colonie de vacances de Wildenstein. Mais c’est une autre
histoire).
Seulement, c’est siffler ou fumer, les deux actions étant à
la fois proches et contradictoires. Certes, siffleur et fumeur arrondissent la
bouche en cul de poule, mais l’un inspire tandis que l’autre souffle. L’incompatibilité
est telle que je suggère à la Faculté d’ajouter aux multiples méthodes antitabac
la sifflothérapie, qui présente l’intérêt d’utiliser le réflexe comportemental
lié à la contraction labiale tout en éliminant l’inconvénient de la prise de
poids (puisqu’on ne peut davantage siffler et manger).
Hélas ! ladite contraction labiale renforce les risques
d’apparition de rides rayonnantes au contour des lèvres et favorise la
naissance du double menton par projection naturelle du maxillaire (c’est ainsi
que, fumeuse et siffleuse, je suis devenue quasiment prognathe).
Handicap
Le prognathisme, la ride rayonnante ne sont pas les seules
disgrâces qui affectent le fumeur en général, la fumeuse en particulier. Je me
demande où les ligues de vertus sont allées trouver que le nicotinique
jouissait d’une image associée à la séduction. Décidément, elles sont bien mal
informées, donc peu crédibles. Le dénigrement du tabac est un exercice qu’il
faut laisser aux tabagistes et tabageurs. C’est comme les histoires belges ou
juives : elles ne sont supportables que dans la bouche des intéressés. En
outre, le fumeur est insurpassable dans la description de ses symptômes et de
ses ridicules. Lui seul peut évoquer les servitudes cigarières : l’œil qui
larmoie sous l’effet de la fumée, la bouche qui se tord pour expirer sur le
côté afin d’épargner son vis-à-vis, d’où une sorte de mimique à la Popeye des
plus émoustillantes (l’alternative consiste à se hausser du col, à transformer
son cou en tuyau de poêle, les yeux fixés sur le plafond, et à souffler comme
une cheminée de vieux steamer qui appareille).
Le fumeur sait mieux que quiconque décliner la gamme des
toux : les raclements gutturaux du réveil, la suffocation pituitaire de la
première cigarette, le catarrhe qui scande le brossage des dents, la quinte qu’arrache
le laçage des chaussures (tout ce qui comprime le plexus favorise la toux). Le
rire qui s’achève en explosion bronchitique (je réserve à mon médecin la
description des expectorations). Le débit asthmatique, les phrases qui ne
tiennent pas l’alexandrin : « Ô rage, ô désespoir, ô vieillesse ennemie. »
Corneille s’en retourne dans sa tombe. Le tabagique n’a plus droit qu’aux
rimailleurs pouet-pouet, faute de souffle.
Le souffle, parlons-en : il est bon en ce qui me
concerne. Je peux monter jusqu’au troisième sans défaillir. Après, il me faut
des paliers de décompression : au quatrième, poussifs halètements ; au
cinquième, râles moribonds ; au sixième, effondrement. Je dois demander à
François un répit de trois minutes avant de sonner chez nos hôtes.
En revanche, je peux nager longtemps, monter d’un trait une
collinette, marcher des heures d’un bon pas pour m’approvisionner. La peur du
manque me donne des ailes, des mollets de chasseur et un souffle de baryton. Mais
à part ces rares occasions (le fumeur est toujours précautionneux), le bilan n’est
pas brillant.
Sauver les apparences
Certes, le bilan n’est pas brillant, mais que nul ne vienne
me remonter les bretelles. Dans ce cas, je me rebiffe. Ainsi, ceux qui
prétendent que fumer gâte le teint sont de vulgaires propagandistes qui
feraient mieux de se regarder dans la glace. En vérité, les cabines d’esthéticiennes
étant généralement non-fumeurs, la fumeuse évite d’y mettre les pieds. Mais on
trouve des instituts de beauté accommodants. Au pire, une fois par mois, isolée
sous une serviette-éponge, elle expose son visage au-dessus d’un saladier où infuse
un bouquet garni : c’est bon pour la peau et ça dégage les bronches. Personnellement,
j’ai un teint de rose, comme tous les gens de mon âge.
On dit aussi que fumer donne mauvaise
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