Comment le jeune et ambitieux Einstein s'est approprié la Relativité restreinte de Poincaré

ainsi que celle de l’interprétation
de la transformation fondamentale de la Relativité restreinte, appelée
transformation de Lorentz, en tant que rotation dans l’espace-temps.
    Nous allons donc nous demander, au cours de cet ouvrage, les
raisons de cet « oubli » dans lequel furent enfouis, et continuent en
partie de l’être, les travaux de Poincaré sur les fondements de la Relativité
restreinte.
Des doutes sur l’œuvre du jeune Einstein
    Durant le vingtième siècle, Einstein a été considéré comme
le plus grand génie de tous les temps à la suite d’un engouement médiatique que
nul autre savant à son époque n’avait jamais suscité. Ce n’est que récemment
que la mythologie qui l’entoure a été revue à la baisse.
    L’attribution de la paternité de la Relativité restreinte a
maintes fois fait l’objet de vives controverses au cours du XX e siècle.
La question est loin d’être tranchée. Plus d’un scientifique a déjà pris la
plume pour plaider en faveur des mérites respectifs des trois principaux
protagonistes de cette théorie : Hendrik Lorentz (1853-1928), Henri
Poincaré (1854-1912), et Albert Einstein (1879-1955).
    Dans le livre Histoire des théories de l’éther et de l’électricité [Wi1], publié en 1953 par Sir Edmund Wittaker, mathématicien et physicien, le
titre du chapitre consacré à la Relativité restreinte est éloquent puisqu’il s’intitule :
« La théorie de la Relativité de Poincaré et de Lorentz », éliminant
ainsi complètement Einstein.
    Max Born, prix Nobel de physique 1954, s’interrogea de façon
plus nuancée dans une conférence [Bo1] faite à Berne, en 1955, lors de la
célébration du cinquantième anniversaire de la Relativité restreinte :
    Le raisonnement utilisé par Poincaré fut exactement le
même que celui qu’Einstein avait introduit dans son premier article de 1905. Cela
signifie-t-il que Poincaré connaissait tout ceci avant Einstein ? C’est
possible.
    Plus récemment, on a reposé la question des rôles respectifs
de Poincaré et d’Einstein en Relativité restreinte. Lors du Congrès
International en l’honneur de Poincaré, tenu à Nancy en 1994, J. Leveugle développe
le thème : « Comment Poincaré et Lorentz ont créé la théorie de la
relativité de 1899 au 5 juin 1905 ». Par contre, A. Miller [Mil] se
demande : « Pourquoi Poincaré n’a-t-il pas formulé le relativité
restreinte en 1905 ? » Le dossier Poincaré-Einstein reste en suspend
car les intervenants ne parlent pas de certains travaux de recherches effectués
au cours du XX e siècle sur les fondements de la Relativité, alors qu’ils
permettent de mieux juger de l’importance respective des publications de Poincaré
et d’Einstein.
Œuvre individuelle ou collective ?
    La Relativité restreinte n’échappe pas au phénomène général
des revendications particulières qu’on observe dans tous les domaines des
sciences. Chacun a de bons arguments pour revendiquer la paternité d’une idée. La
Relativité restreinte ne fait donc pas exception à ces controverses humaines.
    À vrai dire, la construction de toute science résulte
toujours d’une œuvre collective, de très nombreux constructeurs apportant leur
pierre à l’édifice commun. À une époque donnée, dans chaque domaine particulier
de la science, tous les chercheurs réfléchissent aux mêmes problèmes et se
posent les mêmes questions. Ils ne pourront y répondre qu’en fonction des
avancées précédentes. Certains sont là au bon moment, et font un pas ultime, trouvent
une dernière idée, et deviennent les fondateurs d’une théorie fondamentale.
    Prenons le cas, par exemple, de l’hypothèse de l’existence
des atomes [H15] – particules supposées insécables – émise par Démocrite, quatre
siècles avant J. -C. Au cours des siècles qui suivirent, cette idée fut très
souvent débattue mais aucune technologie n’existait pour prouver la réalité de
la structure atomique de la matière. Même si les cristallographes et les
chimistes « démontrèrent » l’existence des atomes, à partir du XIX e siècle, il fallut attendre le début du XX e pour que l’analyse aux
rayons X de la structure des cristaux permette de prouver leur existence
[H15]. On voit combien la théorie atomique est une œuvre collective millénaire,
et comment les avancées successives de la science ont permis de l’établir
définitivement.
    À une époque donnée, les