Complots et cabales
est très éclairé, et en hiver fort bien chauffé.
Fogacer me demanda de descendre peu avant le palais, y ayant là une maison o˘ demeurait un prêtre de ses amis qui les devait héberger, Saint-Martin et lui-même. L'ayant déposé, je poursuivis seul mon chemin dans une rue peu 244
encombrée, en ces m‚tines, de charrettes, de piétons et de cavaliers, à
telle enseigne que ma carrosse rattrapa la carrosse du roi. Je le vis en sortir devant moi pour gravir le degré du palais. Je le suivis à
respectueuse distance, mais m'arrêtai tout à plein quand je vis surgir sur le dernier degré la reine-mère. Elle s'y tenait immobile, massive, la lippe hautaine, le sourcil levé, l'oeil en flamme, et fort semblable àune mar‚tre qui, le fouet en main, se prépare à chanter pouilles à un galopin qui a manqué l'école.
- Eh bien, Monsieur mon fils, dit-elle d'une voix rude, vous voilà bien avancé ! Vous avez perdu la guerre ! et à qui la faute, sinon aux bons conseils que vous a baillés Richelieu ! Est-ce que les écailles ne vous tombent pas enfin des yeux ? Et qu'attendez-vous meshui pour le renvoyer ?
- Madame, dit le roi avec un grand salut, mais l'oeil étincelant et la voix glaciale, je n'ai pu perdre Mantoue, car
Mantoue n'était pas à moi, donc je n'ai pas perdu la guerre. En revanche, j'ai conquis Suse, Pignerol et toute la Savoie. Et je détiens toujours Casal. quant à Monsieur le cardinal, quoi qu'en disent les ignorants, c'est le meilleur serviteur
que la France eut) amais.
Là-dessus, le roi fit à sa mère un autre grand salut, et contournant ce monument d'orgueil et d'obstination, il entra à grands pas dans l'archevêché, et gagnant sa chambre, sur un signe qu'il fit en se retournant, je l'y suivis.
- Sioac ! dit-il en se jetant sur son lit épiscopal, avezvous ouÔ cette mère rabaissante ? Elle ne m'a pas vu depuis trois mois, et tout ce qu'elle trouve à me dire c'est : " Vous avez perdu la guerre ! Renvoyez donc le cardinal! " que diantre ai-je fait aux Dieux pour avoir une mère de cette étoffe ! Sioac, écrivez sans tant languir au cardinal de venir me retrouver à Lyon. De toute manière, avec cette peste qui se répand partout, il faut faire une trêve avec l'ennemi, et pour cela, il nous faut le cardinal. quant aux maréchaux,
qu'ils demeurent à Grenoble pour prendre soin des troupes et les empêcher de déserter. Courez, Sioac, écrivez cette lettre et me la rapportez céans.
Vous verrez, dit-il avec rage,
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que la reine-mère va me demander tous les jours, à toute heure et à toute minute, de renvoyer le cardinal. qui vit jamais une aussi obtuse obstination ?
Le lendemain de son arrivée, le roi, après une bonne nuit de sommeil dans le bon lit de l'archevêché, me parut fort rebiscoulé et ne se sentant plus las, ni " étrange ", comme il voulut bien me le dire à son réveil, après que Bouvard lui eut pris son pouls. L'arrivée, deux jours plus tard, de Richelieu acheva de le remettre comme il avait dit < dans son assiette ". Le cardinal apportait une nouvelle non point bonne, mais àcourt terme fort bien venue. Gr‚ce à l'astuce et l'obstination de Giulio Mazarini, les Espagnols avaient accepté une cote mal taillée pour Casal : Toiras et les Français conserveraient la' citadelle, et les Espagnols occuperaient la ville et le ch‚teau. Cette trêve devait durer jusqu'au quinze octobre. ¿ cette date, si l'armée française n'apparaissait pas sous les murs de Casal, Toiras devrait quitter la citadelle avec ses troupes.
Cette trêve me parut cependant si étrange que je m'en ouvris à Fogacer, car ce n'était sans doute pas sans quelque incitation papale que Mazarini l'avait imaginée et imposée aux belligérants.
- Mon ami, dit Fogacer, maintenant que les Impériaux se sont emparés de Mantoue, leur armée a les mains libres et les Espagnols ne souhaitent aucunement qu'ils viennent leur prêter main forte sous Casal, et le pape moins encore. Car bien qu'Espagnols et Impériaux soient poussins de la même couvée Habsbourg, il ne s'ensuit pas qu'ils s'aiment d'amour tendre, les Ibériques trouvant les Impériaux bien trop envahisseurs et envahissants, et le pape aussi.
Chose étrange, j'ai beau fouillé mes mérangeoises, j'ai failli et faillirai à jamais, je crois, à me ramentevoir quel jour exactement le roi fut saisi à Lyon par la maladie qui fut à deux doigts de l'emporter. Fut-ce le samedi vingt et un septembre 1630, ou le dimanche vingt-deux
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