Complots et cabales
noise qu'il n'en fallait, la plupart, pressentant que la veillée serait longue, s'asseyant sur le tapis. Seuls demeurèrent autour du lit, assis sur des chaires àbras, la reine-mère, la reine, Gaston, Marillac et Richelieu. Les médecins, les gentilshommes de la chambre du roi et moi-même nous nous tenions en retrait, debout pour la plupart. Toutefois, le docteur Bouvard, qui me connaissait de longue date, me fit porter un tabouret par un valet, ce qui me soulagea fort, car les reins au bout d'une heure me doulaient, et les jambes me rentraient dans le ventre d'être resté si longtemps debout.
¿ la demande du roi, la chambre était éclairée à profusion par des chandeliers portant des bougies parfumées, et je voyais fort bien, entourant le lit de l'agonisant, les visages de cette famille qui aimait si peu son roi.
Anne d'Autriche était peut-être encore la plus tourmentée, mais pour des raisons touchant beaucoup plus à son propre destin qu'à celui de Louis.
Bien qu'elle e˚t été plus d'une fois enceinte, jamais aucune de ses grossesses n'avait abouti, et n'ayant pas donné de dauphin à la France, une fois devenue veuve, elle ne serait plus rien à la Cour. Son unique espoir, et elle le caressait depuis longtemps, serait d'épouser Gaston. De reste, elle avait toujours eu beaucoup de penchant pour lui, son peu de cervelle s'accommodant fort bien de la légèreté de Gaston et de ses clabauderies.
Mais que ferait Gaston devenu roi ? quelle fantaisie entrerait alors en ses mérangeoises d'épouser telle ou telle ? Il se reprenait aussi vite qu'il se laissait prendre. Il était la
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marotte de ses conseillers, sa tête était une sorte de moulin tournant au souffle de leur fantaisie. Anne, bien sagement assise sur sa chaire à bras, tenait à la main un mouchoir de dentelle qui donnait à penser que, le moment venu, elle pourrait verser quelques pleurs. Cependant, elle jetait des regards subreptices à Gaston qui ne les apercevait même pas, étant ébloui et comme soulevé de terre par l'idée qu'il allait devenir roi. ¿ mon sentiment, le premier acte de son règne serait tristement semblable à celui de la reine-mère quand Henri IV fut poignardé : il irait vider incontinent, àson seul usage, les coffres du Trésor, et ayant raflé tous les écus qui eussent permis au royaume de maintenir une puissante armée, il ferait à
n'importe quel prix la paix avec l'Espagne...
Massive, les hanches débordant de sa chaire à bras, le torse droit et le port de tête arrogant, la reine-mère regardait Louis se débattre dans les bras de la mort avec une face qui laissait paraître une affliction de bon aloi. En réalité, de ses six enfants, elle n'avait jamais aimé que le moins aimable
Gaston.
Bien qu'elle n'en laiss‚t rien paraître, et ne l'e˚t jamais avoué, cette agonie était pour la reine-mère un jour de gloire et de revanche. En 1617, son fils, une fois majeur, lui avait arraché par la force le pouvoir légitime qu'elle lui refusait illégitimement. qui pis est, il l'avait exilée, et même s'il l'avait à la parfin rappelée, elle n'avait jamais reconquis une parcelle de pouvoir. Et de même qu'elle considérait qu'étant la mère du roi, elle avait tous les droits, et lui tous les devoirs, de la même façon le pouvoir politique par là même devait lui revenir: ce pouvoir qu'elle aimait tant et qu'elle exerçait si mal. Meshui, gr‚ce à Dieu, les années d'impuissance et d'humiliation étaient terminées. Elle faisait son affaire de Gaston, une fois qu'il serait devenu roi. Il avait peu d'intérêt pour les grandes affaires et ne se plaisait qu'à ses plaisirs. Pourvu qu'il f˚t bien garni en pécunes, tout le reste lui importait peu. Elle régnerait donc sans conteste. quant àRichelieu, le roi ayant quitté cette terre, il ne serait plus
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qu'un proscrit, menacé de toutes parts par les haines et les hallebardes.
Si tant est que ce ne serait pas là pour lui une mort trop douce encore.
quant à Monsieur de Marillac, assis à côté d'elle, il priait, s'étant pardonné de ne pas prier à genoux, vu son ‚ge et ses infirmités. Je voyais ses lèvres remuer, et si je savais par coeur les prières qu'il récitait, comment eusse-je pu connaître aussi les pensées qui les accompagnaient ? Et pourtant, je m'y essayai. Car enfin notre dévot touchait au but. Jusque-là, il n'avait jamais obtenu du roi ou de Richelieu qu'ils entendissent que la seule politique digne d'un roi
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