Complots et cabales
survinrent pour garder l'huis, et les courtisans à leur vue se retirèrent de la chambre royale, quoique avec lenteur et mauvaise gr‚ce. Je sus plus tard que, ne pouvant plus parler de peste, ils se consolèrent en attribuant la maladie du roi à la seule responsabilité du cardinal qui avait entraîné
Sa Majesté en des lieux empestés. Thèse ouvertement acceptée et même soutenue par la reine Anne qui, encontrant Richelieu dans un couloir, lui dit d'une voix encolérée : < Voilà ce qu'a fait ce beau voyage !
Bouvard appela en consultation tous les médecins de la Cour, lesquels constatant, d'une part, que le ventre du roi était dur et gonflé et, d'autre part, qu'il rendait continuellement une diarrhée sanguinolente par
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la porte de derrière ", souffrait de dysenterie. Ayant établi ce diagnostic, ils prescrivirent une saignée, ce qui me parut fort étonnant étant donné tout le sang que le roi avait déjà perdu. quand plus tard je contai l'affaire à mon père, il en rugit de rage. Lecteur, tu aurais tort de penser, en effet, que tous nos médecins étaient partisans de la saignée, mode venue d'Italie et qui reposait sur une comparaison inepte: quand l'eau d'un puits devient mauvaise, il suffit d'en tirer de bonnes quantités pour que le puits vous donne derechef une eau claire et buvable. De même, quand un homme est malade, il suffit de lui tirer du corps son sang pourri pour que son corps fabrique derechef du sang pur et sain. Mais comment diantre sait-on, disait mon père, si le sang qu'on tire est pourri ou non?
Pendant deux jours la fièvre de Louis ne cessa de monter, la diarrhée sanguinolente se poursuivant. Le souffle devenait court et par moments tombait dans la suffocation.
Au père Suffren qui t‚chait de le consoler, le roi répondit d'une voix faible, mais ferme
- quand vous verrez que je suis en danger, ne manquez pas de m'en avertir à
temps. Je ne crains aucunement de mourir.
Le vingt-sept septembre, le père Suffren, n'osant lui dire 249
que les médecins le tenaient pour perdu, lui dit que ce jourlà étant l'anniversaire de sa naissance, en cette occasion il serait bon qu'il communi‚t.
- J'en serai aise, dit Louis. Et d'autant que je crains fort que la date de mon anniversaire ne soit aussi celle de ma mort...
Puis il reprit sans que son visage se voil‚t le moindrement de tristesse, de regret ou de crainte
- J'ai au jour d'hui vingt-neuf ans.
Je ne sais comment expliquer ou m'expliquer pourquoi, avant une agonie, il y a souvent un moment o˘ le malade paraît reprendre des forces, comme si l'intempérie faisait mine de l'épargner pour revenir plus forte et l'emporter.
Cette rémission ne faillit pas chez Louis qui parut aller mieux dans la nuit du vingt-huit au vingt-neuf. Mais le vingt-neuf au matin survint une rechute brutale. ¿ partir de onze heures, Louis perdant une abondance de sang, on le tint pour définitivement perdu, et de nouveau il se confessa et communia. Le malheureux roi, que pouvait-il dire de plus au père Suffren qu'il n'avait dit déjà deux jours plus tôt? Pêche-t-on sur un lit d'agonie ?
quand il eut communié, Louis se ramentevant que le roi de France doit naître et mourir en public, commanda d'ouvrir l'huis de sa chambre à deux battants. Les courtisans entrèrent, et réduits au silence par l'aspect décharné de Louis, ils s'agenouillèrent et le roi leur dit
- Je demande pardon à tous ceux que j'ai offensés et ne mourrai pas content si je ne sais pas que vous me pardonnez.
Il y eut alors un incident très remarquable mais qui dans le tragique de l'heure passa presque inaperçu. Louis fit signe à sa femme d'approcher et la baisa en silence sur les deux joues. Il fit signe aussi à Richelieu, et à son tour l'embrassa.
Mais à aucun moment il n'appela sa mère à son chevet. Sur son lit de mort il demandait pardon à tous, mais à elle, il ne pardonnait rien, si profonde encore était la blessure que
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le désamour et le déprisement maternels lui avaient en sa brève vie infligée. Se peut aussi qu'étant une ‚me si consciencieuse, il pens‚t qu'il ne convenait pas de faire un geste ou de feindre un sentiment à son égard qui ne lui viendrait pas du coeur.
Le docteur Bouvard demanda au grand chambellan de prier les courtisans de se retirer dans la galerie, les deux battants de l'huis demeurant déclos, afin que la chambre royale ne devînt pas étouffante en raison de leur nombre. Ce qu'ils firent sans plus de
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