Complots et cabales
c'est sans doute ces bornes-là qui expliquaient l'idée démesurée qu'elle se faisait de son sang. On m'a dit qu'exilée une deuxième fois par son fils, elle dit un jour: "J'ai souffert ce qu'une femme de moindre condition que moi aurait bien de la peine à souffrir avec patience. " Cette phrase me paraît si naÔve que j'hésite à en entendre le sens. Veut-elle dire qu'une reine, étant donné son rang, devrait souffrir moins que sa chambrière ? Et si tel est le sens, comment ne pas lui donner raison? Même avec les grands de ce monde, la maladie et la mort sont si mal élevées...
Je la saluai alors une deuxième fois, et comme le commandait le protocole, je reculai de trois pas, la saluai de nouveau, rejoignis le groupe des Grands et des hautes dames et fus par eux bien accueilli - par les dames, parce qu'elles me savaient grand admirateur du gentil sesso, et par leurs galants
pour la raison que même ceux qui n'avaient pas participé ànos combats étaient sensibles à nos victoires... Je me fondis donc parmi eux, et comme eux envisageai la reine-mère avec un respect auquel, lecteur, si vous aviez été là, nous n'eussiez pas d˚ vous fier, car derrière son dos d'aucuns entre nous l'appelaient <4 Jézabel ", surnom qui vous paraîtra peu flatteur, si l'Histoire Sainte est demeurée en votre remembrance.
Cependant, je l'envisageai en me disant que lorsqu'on vieillit il faut de force forcée rester mince comme ma marraine, la duchesse de Guise, dont la silhouette, le port et le pas demeuraient élégants. Mais hélas, sur ces points la reine-mère ne lui ressemblait pas. Grosse mangeuse, grande dormeuse et siesteuse, et m‚cheuse à l'infini de sucreries, elle avait, au surplus, une soixantaine bien trop débordante en charnure, et quant au visage, il était élargi par des bajoues et allongé par un double menton.
quelle pitié qu'une bonne fée ne p˚t réduire au moins la moitié de son poids, car elle était superbement attifurée en un haut de corps et vertugadin de satin bleu p‚le orné de perles jetées çà et là comme à la truelle. Et derrière sa nuque se dressait une grande collerette en points de Venise constellée de diamants. Belle lectrice, je vous demande pardon de ne point vous décrire par le menu les trois colliers qu'elle portait sous son double menton, ni la demi-douzaine de bagues d'un grand prix qui ornaient ses doigts, car mes yeux s'attachèrent avant tout à un superbe bracelet qu'elle portait au poignet gauche et dont elle devait se paonner beaucoup, car elle s'arrangeait toujours pour le mettre le plus en évidence qui se pouvait.
Ce célèbre bijou avait une histoire. La reine l'avait acheté au début du siècle à des joailliers italiens. Et c'était assurément le plus gros, le plus lourd et le plus onéreux bracelet de diamants alors en vente en Europe. On lui en demanda quatre cent cinquante mille livres. quand il ouÔt ce prix, Henri IV laissa éclater son ire : "Et vous l'avez acheté ! criat-il. Ventre Saint-Gris, Madame ! vous êtes folle ! Vous êtes 162
folle à lier! Voulez-vous ruiner le royaume ! quatre cent cinquante mille livres ! De quoi lever toute une armée contre nos ennemis ! Rendez cet amas de stupides pierres aux rusés joailliers qui vous l'ont vendu. quant à moi, dites-vous bien que je ne les paierai jamais.
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Ces joailliers, en effet, étaient gens astucieux. Le roi demeurant inflexible, ils barguignèrent avec la reine un arrangement tout à leur avantage au terme duquel elle verserait des intérêts annuels élevés sur les quatre cent cinquante mille livres qu'elle leur devait jusqu'au jour o˘
elle pourrait se libérer de sa dette en payant le capital. La reine n'y vit que du feu. Elle accepta et paya lesdits intérêts année après année, et dès que l'assassinat d'Henri IV l'eut fait régente, elle courut mettre la main sur le Trésor d'…tat de la Bastille, paya les joailliers, et dissipa le reste en folles magnificences. On e˚t alors fort étonné la reine-mère en lui apprenant qu'avec les intérêts qu'elle avait payés année après année, et le capital qu'elle avait ensuite réglé, le bracelet lui avait co˚té le double de son prix initial, si élevé que f˚t celui-là.
¿ la parfin, Richelieu pénétra dans la grand-salle et marcha d'un pas mesuré vers le trône o˘ la reine-mère siégeait. Le silence régnait déjà. Il devint plus profond. Les Grands de la Cour se tinrent rigoureusement bouche close et cousue et
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