Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
Vom Netzwerk:
nerfs, pour sa manie de nous raconter par le menu, et pour la énième fois, l’une de ses pièces favorites, mimant l’interprète et ne manquant jamais, à l’instant d’enchaîner sur une scène particulièrement de son goût, par un silence suivi, articulé avec conviction, de :
    — Alors, là, mes enfants… c’est poignant !
    Me ralliant à l’opinion de ma mère, je tenais depuis longtemps tante Camille pour une redoutable raseuse, lorsque la mort de mon frère Louis me fit lui vouer une haine enfantine, mais tenace. Nous étions, à la suggestion de mon père, ma sœur Lucienne et moi, de noir vêtus, montés à Belleville, saluer nos grands-parents. Ce fut tante Camille, vivant chez eux, qui vint nous ouvrir. D’un élan, nous fûmes étreints, serrés contre elle, qui, chevrotante, s’était mise à chanter :
    Mourir pour la Patrie…
    mourir pour la patrie…
    c’est le sort le plus beau…
    le plus-us di-igne d’envie…
    C’est le sort le plus beau…
    le plus-us di-igne d’envie !
    La sotte entendait-elle par là nous convaincre d’accepter notre deuil comme une distinction flatteuse, voulue par le Destin, une épreuve dont nous devions nous montrer dignes ? Son imbécillité par trop monstrueuse défiait l’analyse. Dès ce moment, je la détestai cordialement.
    *
    Imaginant apporter quelque adoucissement au chagrin de mes parents par une scolarité plus brillante, je m’étais mis à bûcher ferme, progressant chaque mois de quelques places. L’imminence du certificat d’études se rapprochant, mon désir de l’obtenir grandissait, parallèlement à l’inquiétude de mon père, auquel l’ancêtre Dalfon, oracle incontesté, avait dû, puisqu’il s’agissait d’un sujet rebelle à ses médicaments, prédire un échec cuisant. Pour notre groupe scolaire, l’épreuve souhaitée et redoutée à la fois se déroulait dans les locaux de l’école de la rue Ferdinand-Flocon, proche de la mairie du XVIII e , voie connue de tous les galopins du quartier pour une petite maison d’un étage aux volets verts toujours clos, un petit bouic de faubourg : Chez Rachel , du nom de la tenancière. Nous en connaissions parfaitement l’existence par les confidences des grands qui, vrai ou faux, prétendaient s’y être aventurés. M. Dubucq, le maître de première qui nous menait en colonne par deux à la bataille, devait être, lui aussi, affranchi. Alors que quelques rires mal contenus éclataient à l’aplomb de Chez Rachel , nous fûmes priés par lui d’allonger le pas et de réserver notre gaieté pour l’issue de l’examen, moment où certains d’entre nous n’auraient nul motif de se réjouir.
    Fruit des efforts que j’avais fournis, ou distraction des correcteurs de copies, je fus reçu à l’écrit, admis à l’oral, et là, je frôlai le désastre. Le vieux maître qui m’interrogea, le plus paternellement du monde, s’attristait pour le moins autant que moi de mon ignorance. Je mis le comble à sa souffrance lorsqu’il prétendit me soutirer quelques bribes de la vie de Jules Hardouin Mansart. Je confessai n’avoir jamais entendu prononcer ce nom et tout ignorer de lui. Aujourd’hui encore, je revois ce brave homme, dépité, mais m’encourageant encore :
    — Ne te trouble pas mon petit ami !… Mansart ?… La mansarde ?… Réfléchis !…
    Totalement paumé, je me bornai à hocher négativement la tête. Alors lui, de plus en plus paternel :
    — Tu aimerais bien l’avoir ton certificat ?… Pourquoi, mon petit ?…
    — Pour travailler, m’sieur !…
    Par la suprême indulgence de cet homme, je récoltai le petit point me rangeant parmi les élus, et rentrai triomphant à la cabane. Pour ce qui est du labeur, la vie allait singulièrement exaucer mon vœu.
    *
    La guerre, que certains permissionnaires nommaient la « riflette », gagnait encore en intensité, sans qu’une prompte décision fût raisonnablement possible à prévoir. Les Teutons venaient même de nous mitonner une infernale vacherie supplémentaire. En plein jour, sans qu’aucune alerte fût donnée, des obus de gros calibre s’étaient mis à pleuvoir sur Paris, à une cadence imprévisible. Le premier, perçant la voûte de l’église Saint-Gervais durant un office, devait faire une centaine de morts et de blessés. D’autres projectiles, heureusement moins meurtriers, éclataient, si on ose dire, au petit bonheur, dans des quartiers très différents, rendant vain

Weitere Kostenlose Bücher