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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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bleu au régiment se voit délégué à la recherche de la clé du champ de manœuvres.
    M. Henri, dans le dessein de me dégrossir plus rapidement, avait chargé le grand René, autre employé de la boutique, de m’initier à la bonne marche et à la bonne tenue du magasin. De quatre ans mon aîné, grand René, familiarisé depuis trois années avec la clientèle, était admis à procéder aux petites ventes : mouchoirs, chaussettes, gants, cravates. Étant devenu son élève, il m’appartenait, le client ayant repassé le seuil de la boutique, de me taper le « déplié », c’est-à-dire de faire regagner aux marchandises éparses leurs rayons respectifs, les classant par tailles et par teintes pour les chaussettes, par pointures et matières pour les gants. Pour les tissus à cravate – celles-ci n’étaient exécutées à la commande que dans des soieries originales, tissées en exclusivité pour notre magasin – il suffisait de les classer par teintes dégradées dans deux vitrines plates. Je dis « notre » magasin, possessif d’adoption alors très usité, ainsi que « chez nous » pour désigner l’entreprise qui vous employait : usine, bureau ou magasin, sans que, pour autant, la moindre miette des bénéfices atterrît dans l’escarcelle de celui qui en usait par instinctif désir d’associer sa gueuserie à la richesse, un lien ténu de féal à puissant.
    « Chez nous », donc, je découvrais des êtres au mode d’existence impossible à imaginer pour les gens de mon faubourg. J’avais même, les livraisons étant de mon ressort, la chance de les entrevoir dans le cadre ouaté de leur vie quotidienne. Les grands hôtels abritaient les étrangers et les riches provinciaux de passage. J’en foulais avec respect les tapis tendus au long de couloirs interminables, respectant le silence qui y régnait, plus total que celui observé dans les églises par les fidèles, que rompent, quelque précaution qu’on prenne, les pas sur les dalles. Des portes ouvertes sur ces couloirs sourdaient des fragrances de parfums inidentifiables, mais que je pouvais imaginer être l’encens du monde de l’argent.
    Le gratin de notre clientèle parisienne gîtait, lui, en appartements somptueux, voire en hôtels particuliers à l’accès défendu par la gent domestique. J’aurais beaucoup aimé m’avancer davantage au sein de ces enfilades de pièces dont je n’entrevoyais qu’une partie du mobilier. Hélas, le valet de chambre ou la soubrette, prenant de mes mains le léger paquet que je livrais, me cantonnait régulièrement dans le vestibule, lieu d’attente du léger pourboire me payant de mon obligeance. Je dis bien léger, et j’y insiste, ce remerciement venant de richards n’excédant jamais vingt ronds, alors que Mme Marguerite m’avait fréquemment refilé quarante sous, pour de très menus services.
    J’étais cependant toujours volontaire pour ces petites livraisons. J’en acquérais la connaissance d’une géographie nouvelle de Paris, prospectant des quartiers rupins, où, faute d’avoir à m’y rendre par nécessité professionnelle, jamais je n’aurais osé m’aventurer, crainte d’y paraître déplacé.
    Mon entrée chez « Jourdain et Legeai », flatteuse en soi, avait considérablement tari mes ressources. Il était hors de propos que je puisse, en compagnie de mes anciens associés, retourner me défendre au charbon ; je n’avais nulle envie de me noircir les pognes et le trafic des bagnoles de carbi cessait le soir dès sept heures. Mme Marguerite, n’ayant plus à confectionner les petits plats dont raffolait M. Louis, dînait de plus en plus fréquemment en ville, traitée, elle le laissait entendre, par des clients. J’en étais réduit, pour mon budget du dimanche, aux deux francs que m’allouait ma mère et aux quelques pourliches récoltés dans la semaine, trop mince pécule pour me permettre de filer le train à mes copains d’école, travaillant à peu près tous en usine pour des salaires qui m’éblouissaient, certains gagnant quatre fois en une semaine ce que je touchais pour un mois. Mes appointements misérables et le cauchemar du déplié, que le grand René dans son zèle à satisfaire le chaland faisait de plus en plus important, vinrent tempérer mon ardeur à assimiler les finesses de la vente. Mes rapports avec ce René s’aigrirent. Je refusai, un lundi matin, d’entendre le récit du cross-country disputé par lui la veille,

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