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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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beaucoup alors, sombrait dans une morosité sans remède. Cette guerre durait beaucoup trop sans que rien ne permît d’en entrevoir la fin. Grandissant était le nombre de ceux qui secrètement souhaitaient une paix rapide, à n’importe quel prix, et quelles qu’en fussent les conditions, la reconquête de l’Alsace et de la Lorraine ne faisant plus recette dans les esprits.
    *
    Bien souvent, lors de périodes sombres de ma vie, j’ai tenté de me remémorer la voix de ma mère. L’échec a été constant. Que j’aie évoqué un épisode plaisant de notre vie familiale ou une péripétie douloureuse, il ne me revenait qu’une petite ritournelle fugace, presque aussitôt amortie, qui affleurait à ma mémoire. Je ne saurais donc dire sur quel ton ma mère me jeta un jour à mon retour de classe :
    — Notre pauvre Louis a été tué !…
    La malheureuse, étouffée de sanglots, ne put m’en dire davantage et se borna à me tendre la fatale formule officielle dont la brièveté me parut tout d’abord sans mesure avec l’énorme chagrin qu’elle venait nous causer. Mon pauvre aîné, y était-il dit, était tombé héroïquement aux Dardanelles, lors du débarquement de Seddulbahr, entraînant ses hommes à l’assaut. La croix de guerre et la médaille militaire lui étaient conférées à titre posthume.
    Ainsi, la mort venait de nous frapper. La mort et son cortège d’obligations dont la plus pénible, le deuil, me semblait devoir renforcer encore notre peine, nous désigner comme des réprouvés poursuivis par une condamnation des puissances suprêmes. Chez les pauvres, en ce temps, le deuil se portait laid et coûtait cher. Renouveler une garde-robe, si élémentaire fût-elle, posait un rude problème de financement. Même le « deuil en vingt-quatre heures », proposé alors par toutes les teintureries, devenait pour les familles nombreuses absolument ruineux. Mes parents y eurent cependant recours, en partie pour ceux de nos vêtements assez solides encore pour supporter l’épreuve de la teinture. En ce qui concerne le remplacement des hardes par trop usagées pour être teintes, une fois de plus, le crédit des grands magasins Dufayel sauva la mise à mes parents, permettant à nouveau un endettement d’une centaine de francs, douloureux à éponger. Ainsi fûmes-nous en quelques jours équipés pour l’affligeante compassion dont le voisinage estimait devoir nous accabler.
    Je m’aperçois, à ce point de mon récit, combien la mémoire, sélective à notre insu, rejette, dans Dieu sait quelles oubliettes, ce qui a pu nous meurtrir. Ainsi, présentant ma famille du côté paternel, une sorte de défiance instinctive m’a fait négliger tante Camille, sœur cadette de mon père, vieille fille et seconde main dans la couture. Camille était l’épouvante de ma mère qui lui reprochait de se « ficeler comme l’as de pique », allusion aux jupes et corsages godaillants de sa belle-sœur, toujours tenus par des épingles de nourrice en guise de boutons, à ses bottines défraîchies et veuves de cirage. Pour couronner cet ensemble rappelant l’épouvantail à moineau, tante Camille, redoutant l’ostracisme visant les ouvrières vieillissantes dans les maisons de haute couture, masquait ses mèches blanchissantes sous une épaisse couche de henné, d’un rouge flamboyant, qu’elle s’appliquait elle-même chaque dimanche. Telle, tante Camille ne pouvait guère passer inaperçue, et ma mère, charitable pourtant, appréhendait ses visites, habituellement bi-mensuelles, tout autant que sa conversation d’une mortelle monotonie. D’une sensibilité de midinette, tante Camille s’était prise de passion pour le théâtre, en l’occurrence l’Odéon. Ayant volontairement sélectionné deux pièces, alors au répertoire : Le Grillon du foyer et Le Procureur Halers , elle les voyait, les revoyait inlassablement, depuis le poulailler, où les vieilles ouvreuses, assurées de voir surgir sa coruscante chevelure, lui réservaient toujours la meilleure des places possibles, traitement de faveur dont notre parente n’était pas peu fière. C’était régulièrement au lendemain d’une de ces représentations que tante Camille, se hâtant à la sortie de son atelier, nous tombait dessus vers les sept heures et demie, à point nommé pour se faire retenir à dîner. Compréhensive, ma mère n’y manquait jamais, non sans quelque mérite, sa belle-sœur lui donnant visiblement sur les

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