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Confessions d'un enfant de La Chapelle

Confessions d'un enfant de La Chapelle

Titel: Confessions d'un enfant de La Chapelle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Albert Simonin
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tout pronostic sur le prochain point de chute, et rendant parfaitement superflues toutes précautions pour parer au péril. C’était pour les Parisiens comme une loterie de la mort, au tirage de laquelle nul ne pouvait prétendre se soustraire.
    Assez vite, l’on apprit qu’il s’agissait d’une monstrueuse pièce d’artillerie, vite baptisée par les chroniqueurs « Grosse Bertha », et dont la portée bouleversait les notions jusqu’alors admises de la balistique. Quant à la détruire, l’entreprise paraissait malaisée, les servants de cette pièce ne tirant que de jour, afin d’éviter le repérage par la lueur du coup de départ. Le moral de la population parisienne, déjà d’un bas étiage, fut rudement affecté de ce qui paraissait une supériorité technique de l’adversaire. Providentiellement, l’entrée des États-Unis dans le conflit vint à point dissiper cette vague de pessimisme : « La Fayette, nous voici !…»
    Cette courte phrase réjouissant visiblement les adultes demeurait rigoureusement dépourvue de sens pour nous mouflets. Les plus claires acquisitions qu’apporta aux gamins du faubourg l’arrivée des troupes américaines furent l’usage du chewing-gum, et celui du tabac miellé contenu dans des sachets de toile marqués d’une tête de bête à cornes. L’engouement pour les mécaniques innombrables dont disposaient ces étranges troupiers, fringués et coiffés en boy-scout, devait suivre. Chevauchant, façon Buffalo Bill, les mahousses Indian et Harley Davidson, ou bien pilotant avec allégresse la Ford T au profil d’araignée, le griveton amerloque donnait, fonçant, pleins gaz sur les chaussées, un perpétuel récital de virtuosité acrobatique applaudi du trottoir par les amateurs. Comparés à ces artistes, les agents de liaison de nos troupes faisaient piètre mine sur leurs motos poussives. Déjà l’américanomanie, qui devait marquer plusieurs générations de Franchouillards, était en germe. Auprès des personnes du beau sexe, le succès du troupier U.S.A. fut fulgurant. Le filleul de guerre américain devint de mode, alibi patriotique pour un épanchement de tendresse en souffrance chez nombre de dames, attrait du dollar pour d’autres, de petite vertu. Marguerite, sans pour autant négliger le casuel qui lui venait de ses mandataires des Halles, s’était assuré un petit noyau de clientèle, dans les bars fréquentés par les gradés amerloques, amateurs de champagne et de belles créatures. Par la grâce de ces militaires fastueux, Paris retrouvait une aimable animation nocturne.
    *
    Mon obtention du certificat d’études avait, je dois l’avouer, grandement surpris mes père et mère. L’auteur de mes jours, satisfait de donner enfin un démenti aux vues pessimistes sur mon avenir de l’ancêtre Dalfon, n’en était pas pour autant rassuré. Le temps étant venu pour lui de me choisir un métier, le pauvre homme demeurait perplexe. Conscient de n’avoir pas engendré un athlète, mon père dans son choix écartait les professions dont l’apprentissage réclamait de la force. Le sédentaire emploi de bureau, exigeant une élégante calligraphie, ne pouvait, estimait-il, pas davantage me convenir. Restait le commerce, activité fort vague, dans laquelle mon apparente fragilité et ma petite stature n’auraient pas dû me desservir.
    Selon la coutume de l’époque, j’étais le seul à n’être pas consulté sur ce qui intéressait au premier chef mon avenir, notion pour moi totalement abstraite. En revanche, une foule de gens, parents, relations lointaines ou amis se préoccupaient de me « caser », ainsi disait-on à l’époque. Qui nous aiguilla à l’époque sur la chemiserie « Jourdain et Legeai » ? Je crois ne l’avoir jamais su, mais peux clairement évoquer mon premier contact avec le monde du travail, ayant pris pour moi le visage compassé de M. Henri, directeur de la maison. Ma mère, qui venait me « présenter », se trouvait sans nul doute aussi mal à l’aise que moi dans le décor de boiseries de la boutique au parquet luisant comme un miroir, boutique vide de clients à cette heure, et où régnait un silence de crypte. M. Henri écoutait fort patiemment, sans me quitter du regard, ma mère énumérer mes qualités que je n’aurais pas imaginé si nombreuses – sait lire, écrire, compter, est obéissant, de bonne volonté, sans mauvais penchants. Soudain, comme si tant de perfection eût emporté sa

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